L’édito de Fabrice Grosfilley : que faut-il ?

Que faut-il pour provoquer l’électrochoc ? Quelle est l’ultime pression qui serait en mesure de faire plier les partis politiques, de leur faire comprendre qu’ils doivent accepter un compromis, peut-être douloureux pour leur stratégie ou leurs grands principes, mais nécessaire pour enfin débloquer la situation et permettre à la région bruxelloise d’être gouvernée ?

Ce matin, 300 associations lancent un nouvel appel solennel demandant qu’on rétablisse leurs subsides. Le passage en douzièmes provisoires, faute d’accord de gouvernement et d’un vote sur le budget, combiné à la baisse annoncée de 15 % des subsides facultatifs les mettent en difficulté financière, disent-elles. La prolongation des douzièmes provisoires est “un dispositif anormal qui entraîne de l’instabilité et des effets indésirables” : manque de trésorerie, non-indexation des moyens alors que les dépenses le sont… Cela fragilise leur secteur, affirment-elles. Parmi ces associations, on trouve de nombreux intervenants du secteur de la santé ou du social, des Petits Riens à la Ligue Braille, des entreprises de travail adapté, des centres de santé mentale, des associations actives dans le secteur du sans-abrisme ou encore des maisons médicales.

Cet appel sera-t-il entendu ? Probablement pas, ou en tout cas pas immédiatement. De même, le communiqué commun publié il y a quelques semaines par les partenaires sociaux – patrons et syndicats, tous réunis pour demander qu’on aboutisse – n’a pas eu non plus beaucoup d’effet. Les appels de la société civile sont aujourd’hui insuffisants pour lever les blocages politiques.

Quand la société civile ne suffit pas, il y a les concurrents. Appelé à siéger dans la future opposition – en tout cas, c’est ainsi que les choses sont actuellement prévues – le parti DéFI, présidé par Sophie Rohonyi, dénonçait hier une “prise d’otage de la région bruxelloise par l’Open VLD”.Avec ses 8 500 voix, soit 1,43 % des électeurs bruxellois en âge de voter, ce parti empêche toute avancée”, estime le communiqué de DéFI, qui appelle le MR à prendre ses responsabilités et à proposer un gouvernement au vote, quitte à ce qu’il soit minoritaire du côté flamand. Si rien ne change, le risque est grand que Bruxelles soit placée sous tutelle du fédéral, regrette ce parti.

La mise sous tutelle, c’est une autre menace qui pèse sur les négociateurs. Elle est à moitié crédible. La Constitution n’a pas réellement prévu de mise sous tutelle. Mais il est vrai qu’en matière d’urbanisme – si l’image de Bruxelles devait être impactée-  ou de financement – notamment la conclusion d’emprunts bancaires – le fédéral a la possibilité d’utiliser une sorte de droit de veto. Comme la banque publique Belfius a déjà réduit sa ligne de trésorerie destinée à la région bruxelloise, on sent bien qu’asphyxier la région par manque de liquidités est une carte que certains partis n’excluent pas de jouer.

Souhaiter en arriver à une mise sous tutelle et à un scénario à la grecque – quand le FMI avait imposé des réformes drastiques de l’intérieur – ne devrait pas être des plus enthousiasmants. Pourtant, certains politiques en parlent. Ce n’est à ce stade qu’une menace, pour faire pression. Si elle devait devenir réalité, cela ressemblerait à un scénario du pire, à une victoire à la Pyrrhus où les dégâts seraient plus importants que le gain politique qu’on pourrait en tirer.

Je vous passe les appels en tout genre des journalistes ou des éditorialistes. “Le coassement des grenouilles n’empêche pas l’éléphant de boire”, dit un proverbe africain. On peut s’époumoner, prendre notre meilleure plume, avoir la même analyse, les mêmes condamnations dans les journaux francophones et néerlandophones… cela ne pèse pas grand-chose.

À ce stade, nous n’avons plus que six partis dans les discussions. L’Open VLD a choisi la politique de la chaise vide : “Tant que la N-VA ne revient pas, je ne serai pas là.” Pour tenter de ramener l’Open VLD à bord, les six autres partis ont donc prévu de parler budget lundi. Le budget, c’est la compétence de Sven Gatz, ministre VLD du gouvernement sortant. Sur la table lundi, il y aura même un rapport cosigné par son chef de cabinet. Et comme le rétablissement de l’équilibre budgétaire est une des marottes de l’Open VLD, on le voit mal, en théorie, boycotter la réunion.

Et puis, il y a tout ce qui se passe en coulisses. D’ici lundi, il y aura encore beaucoup de contacts. Dans une négociation, il y a ce qui se passe à l’avant-plan. Et puis, derrière ce paravent, les nombreuses tractations qui peuvent se poursuivre en parallèle. Les apparences peuvent parfois être trompeuses. Depuis plusieurs semaines, ces tractations discrètes sont de plus en plus intenses. Peut-être que le sentiment d’impasse totale n’est pas tout à fait conforme à la réalité. Mais si l’on finissait par avancer sur le fond des dossiers, il reste une question qu’il faudra bien finir par résoudre : celle de la composition de cette majorité, en particulier de son aile néerlandophone. Avec la N-VA ou avec le CD&V ? La question, ce jeudi,  n’est toujours pas définitivement tranchée.

Fabrice Grosfilley