L’édito de Fabrice Grosfilley : quand Uber se payait une commissaire européenne
Dans le dossier Uber on est sans doute pas au bout de nos surprises. Les révélations du jour concernent une ancienne commissaire européenne. Neelie Kroes. Une commissaire qui a ensuite utilisé son influence pour aider Uber. Et cela a notamment concerné l’implantation de l’entreprise en Région bruxelloise.
La néerlandaise Neelie Kroes a donc été commissaire européenne de 2004 à 2014 à une époque où c’est José Manuel Barroso qui était président de la Commission. Premier portefeuille comme commissaire à la concurrence, puis à partir de 2010 commissaire chargée de l’agenda digital. Deux portefeuilles qui intéressent forcément beaucoup Uber, surtout à partir de 2011 quand Uber décide de sortir des États-Unis pour se lancer à l’assaut du marché international.
Officiellement c’est à partir de 2016 que Neelie Kroes et Uber se mettent à collaborer. Pas une petite collaboration. La néerlandaise devient la présidente du Comité de conseil en politiques publiques mis en place par Uber. Rémunération 200 000 euros, c’est ce qu’on appelle un poste bien payé. Ça, c’était la version connue jusqu’à présent. Les Uber Files démontrent que les contacts entre Neelie Kroes et Uber ont commencé bien avant. Le Standaard et le journal Le Monde ont pu reconstituer une chronologie interpellante.
Officiellement, du temps où elle était commissaire Neelie Kroes n’a rencontré qu’une seule fois les dirigeants d’Uber. C’est ce qu’a affirmé la Commission lorsqu’elle a été interrogée par une ONG sur d’éventuels conflits d’intérêts. Cette affirmation était inexacte. D’après les documents révélés aujourd’hui il y a de nombreuses réunions et des échanges de mails entre Uber et le cabinet Kroes dès la fin 2013.
Plus grave encore : Neely Kroes a commencé à négocier son entrée chez Uber alors qu’elle était encore membre de la Commission européenne. Cela a été soigneusement caché aux membres de son cabinet. En 2015 Neely Kroes fait une première demande pour pouvoir rejoindre Uber. Le comité d’éthique des institutions européennes émet un avis défavorable. Neelie Kroes fait le forcing, mais Jean-Claude Juncker tient bon : la commissaire doit attendre la période de prudence de 18 mois après sa sortie de fonction pour accepter ce nouveau job. Elle devra donc patienter jusqu’au début de 2016. Pourtant pendant l’année 2015 Neelie Kroes va déjà jouer les intermédiaires pour Uber, notamment au Pays-Bas. Elle n’en avait pas le droit, puisque pendant cette période de prudence elle était toujours rémunérer par la commission européenne.
En ce qui concerne la Région bruxelloise on peut encore remonter plus loin dans le temps. Avec des interventions publiques en faveur d’Uber. Le 15 avril 2014 dans un tweet Neelie Kroes appelle ainsi les citoyens qui sont en colère avec l’idée qu’Uber n’est pas autorisé à desservir une ville, à envoyer un message à Brigitte Grouwels, qui était ministre bruxelloise des Transports à l’époque. Une commissaire européen qui appelle les internautes à faire pression sur une ministre régionale et qui la surnomme même ministre de l’antimobilité ce qui avait fait grincer des dents à l’époque. Savoir que trois mois plus tard Neelie Kroes avait un accord secret avec Uber pour devenir une employée du groupe californien jette une toute autre lumière sur ce genre de déclaration.
Bien sur, un débat politique sur l’organisation du transport de personnes, sur la place que peuvent prendre ou pas des plateforme comme Uber est tout à fait légitime. Il l’était en 2014, il l’est toujours aujourd’hui. Ce qui est en jeu ici ce sont les moyens déloyaux mis en place par Uber. L’attitude déloyale d’une commissaire européenne qui a mélangé son mandat public et ses intérêts privés. Et aussi le manque de discernement des autorités européennes qui ont manqué de transparence ou qui se sont fait manipuler. Cela prouve aussi que la bataille de Bruxelles pour Uber était un enjeu crucial. Et qu’à l’échelle de notre petite Région et de ses élus un lobbying d’une telle puissance avait toutes les chances de déstabiliser le paysage politique régional.
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