L’édito de Fabrice Grosfilley : penser après Good Move

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Faut-il renoncer à Good Move ? La question ne pouvait pas ne pas revenir à l’approche des élections du 9 juin. La politique de mobilité a été l’un des axes majeurs de l’action du gouvernement bruxellois. Avec des réussites : nous avons tous vu la transformation de la ville, accompagnée d’une baisse réelle de la pression automobile et de la pollution, objectivable par des données chiffrées. Avec des ratés aussi, certains projets à Anderlecht et à Schaerbeek notamment ont rencontré une hostilité réelle dans les quartiers concernés, ce qui a poussé les pouvoirs publics à battre en retraite.

Faut-il abandonner Good Move ? La question ne se pose pas tout à fait ainsi. En réalité, il faut être plus précis dans les termes utilisés si l’on veut avoir un débat sur le fond du dossier. Dans les faits, Good Move est d’ores et déjà abandonné. “L’expression est cramée”, disait hier matin Philippe Close à notre micro. Même les partisans de cette politique n’emploient plus le mot “Good Move”, ils parlent de mailles de circulation, de quartiers apaisés, de plans de mobilité. Le marketing est quelque chose d’important en politique. Taper sur Good Move aujourd’hui, c’est s’acharner sur un homme déjà à terre dont on sait qu’il ne se relèvera pas. Cela n’empêche pas certains ténors de se positionner en opposition à Good Move, c’est notamment ce que vient de faire à deux reprises Ahmed Laaouej, à BX1 puis sur LN24.

La bonne question à poser est donc plutôt celle-là : qu’allons-nous faire après Good Move ? Ou en d’autres termes, quelle sera la politique de mobilité qui sera mise en place par le prochain gouvernement bruxellois ? Est-ce que l’on continue dans le même esprit que les dernières législatures, ou est-ce qu’on opère une rupture sur la politique de mobilité ? J’ai écrit “dernières législatures” avec un pluriel, car il faut bien avoir conscience que l’essentiel des projets qui aboutissent aujourd’hui sont en réalité des politiques qui ont été pensées et mises en place, non pas en 2-3 ans, mais sur des périodes plus longues, 5, 10, 15 ans parfois. On en a l’illustration avec le projet de métro 3 : on débat aujourd’hui du financement d’un métro qui ne verra pas le jour avant 2035 au mieux. Quand on parle de mobilité, il faut avoir de la vision et de la patience. Se dire qu’on peut faire un virage à 180 degrés en l’espace d’une législature, c’est courir à la catastrophe.

Si l’on observe les choses sur le long terme, il est donc indéniable que les politiques publiques tendent à restreindre la place de la voiture. En réalité, cela commence dans les années 70, voire 60. On s’est rendu compte que la voiture avait pris trop d’importance, et que la place qu’elle prenait avait provoqué trop de nuisances. C’est une problématique urbaine : en ville, à la différence des zones rurales, on manque de place. Il faut faire des arbitrages. La densité de la population s’accommode mal du tout à l’automobile. C’est néfaste en termes de mobilité, les routes sont encombrées ; c’est néfaste pour la santé, la voiture pollue, et cela provoque des maladies respiratoires. Il a donc fallu trouver des alternatives à la voiture individuelle : les transports en commun pour commencer, la promotion de la marche ou du vélo ensuite, l’arrivée de la micro-mobilité avec les trottinettes enfin. Good Move est donc la suite de cette politique qu’on observe en réalité dans toutes les grandes métropoles. La place prise par les vélos à Amsterdam, l’importance du métro à Paris ou Londres, les péages urbains à Milan ou Stockholm ; les Bruxellois n’ont en réalité rien inventé de révolutionnaire.

Voici donc la vraie question centrale : quel mode de transport allons-nous privilégier dans la prochaine législature ? Est-ce le retour de la priorité aux voitures ? Investissons-nous d’abord dans les transports en commun ? Laissons-nous une place aux vélos et autres modes de déplacement considérés comme actifs ? Depuis quelques années, en matière de mobilité, il y avait une forme de consensus autour du principe STOP. STOP, c’est du néerlandais : S pour Stappers, qui veut dire piéton, T pour Trappers qui désigne les cyclistes, O pour Openbaar Vervoer, les transports publics, et P pour privé, les transports privés, la voiture individuelle. Ce principe STOP hiérarchise donc la priorité à donner aux différents modes de transports. Au sommet de la hiérarchie, les piétons ; en bas de la pile, les voitures. Dire qu’on ne veut plus de Good Move, c’est donc un peu dire qu’on n’est plus d’accord avec cette hiérarchisation. Est-ce que cela veut dire que demain, entre une piste cyclable et une seconde voie pour les voitures, on préférera la voie pour les voitures ? Si on doit choisir entre un site propre pour le tram ou la place de parking, est-ce qu’on préférera garder la place de parking ? Ce sont de vraies questions sur la politique de mobilité du futur.

Il y a évidemment une forme d’électoralisme facile à dire qu’on ne veut plus de Good Move. C’est une manière de surfer sur le mécontentement qu’on a pu observer dans les quartiers populaires et de faire le plein des voix dans ces quartiers-là. Ça ne dit pas ce qu’on entend faire pour le futur. La politique de mobilité de demain, sera-t-elle conservatrice, surtout ne toucher à rien pour ne fâcher personne… mais laisser les problèmes actuels en l’état ? Sera-t-elle innovante, mettra-t-elle l’accent sur de nouveaux modes de déplacements ? Ce sont les questions que les débats de la campagne électorale devraient pouvoir éclaircir. Avec une certitude effectivement, c’est que quelle que soit la politique de mobilité choisie, elle ne s’appellera plus Good Move.

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15 mai 2024 - 11h21
Modifié le 18 mai 2024 - 08h17