L’édito de Fabrice Grosfilley : parler mais pas trop

 Ce vendredi matin, Fabrice Grosfilley revenait sur l’interrogatoire des accusés au Justitia.

C’est une nouvelle semaine importante qui s’est clôturée hier soir (jeudi) au procès des attentats du 22 mars. Une semaine pendant laquelle on a pu entendre les accusés répondre aux questions de la présidente et à celles des avocats sur le déroulement des attentats, mais aussi sur ce qui s’était passé avant les attaques du 22 mars ainsi que dans les jours qui ont suivi ces deux attentats. La première satisfaction, et elle est importante, est que les accusés ont parlé. Ils ont même accepté de répondre à la plupart des questions, à l’exception d’Ossama Krayem qui depuis le début du procès préfère garder le silence. On n’aura donc pas la version d’un des hommes clefs de l’attentat du métro Maelbeek : Ossama Krayem avait finalement fait demi-tour et renoncé à se faire exploser. Faute d’explications, on ne sait donc toujours pas pourquoi il a opéré cette volte-face.

Si Krayem refuse de collaborer, les autres en revanche ont parlé. Leurs explications sont riches d’enseignements sur ce qui s’est passé avant les attentats. Sur leur processus de radicalisation. Sur leur conviction qu’en frappant la population bruxelloise, ils répondaient aux attaques contre les populations civiles d’Irak et de Syrie. La “loi du talion” où on tue des innocents pour répondre à d’autres massacres d’innocents. On a pu mesurer dans leurs paroles que l’idéologie de l’organisation terroriste État Islamique était encore bien présente. Que leur vision du monde restait en grande partie façonnée par cette idéologie. Que l’occident était le camp du mal et qu’en frappant la population européenne, les terroristes visaient les décideurs européens. Sur le fond donc pas de réel renoncement à la logique terroriste.

Du coté des parties civiles, on reste en partie sur sa faim après ces interrogatoires. D’abord, parce qu’il n’y a pas eu réellement de demandes de pardon. Certains ont reconnu une part de responsabilité, comme Mohammed Abrini. D’autres ont exprimé des regrets, comme Sofiane Ayari. On a entendu des mots de compassion pour les victimes. Mais pas de demande de pardon ou d’excuses formulées comme telles. Ce serait reconnaitre une culpabilité, ont expliqué Salah Abdeslam et Ali El Haddad Asufi. À ce premier bémol, s’en ajoute un deuxième : le flou entretenu par les accusés dès qu’on abordait des questions sensibles. Qui était le chef du commando, le commanditaire des attentats, que sont devenus les armes de la rue Max Roos ?  Sur ces questions-là, on n’a pas eu de réponses. “Je ne suis pas une balance”, a précisé l’un des accusés.

C’est donc un bilan en demi-teinte. Mais, plutôt que de voir le verre à moité vide, on est plutôt tenté de souligner qu’il est quand même à moité plein. Parce que le fait que les accusés parlent n’était pas gagné d’avance. Quand on se rappelle la tension du début de ce procès, le risque d’une chaise vide et d’accusés qui se murent dans le silence était une hypothèse qu’on ne pouvait pas écarter. Sans doute que le fait d’avoir entendu les victimes exprimer leur souffrance, d’avoir pu mettre des visages et des récits personnels derrière les explosions auront amené les accusés à desserrer leurs mâchoires. Et, en retour, le fait d’avoir pu entendre ces accusés expliquer leur parcours, donner des brides d’explications aura permis à ces victimes d’avoir un peu plus de compréhension des évènements qui nous ont frappés il y a maintenant sept ans. Et puis, surtout, c’est capital, cela permet d’abaisser la tension dans ce procès. Que tout le monde s’exprime, c’est le principe du débat contradictoire en cour d’assises. C’est comme ça justement que, dans notre démocratie, on rend justice. Pas en posant des bombes, mais en jugeant des individus sur ce qu’ils ont fait, en leur laissant la possibilité de s’expliquer et même de se défendre.

Fabrice Grosfilley