L’édito de Fabrice Grosfilley : objectif 8 mai ?
C’est une journée réellement cruciale. Cet après-midi, à 15 h, Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer ont invité sept partis politiques à se retrouver pour discuter de la région bruxelloise. Sept partis appelés à entrer en négociation pour tenter de former le prochain gouvernement bruxellois. Il ne s’agit pas encore de négociations à proprement parler, et encore moins d’un accord de gouvernement. Il s’agit juste de dire : oui, avec ces sept-là, nous sommes prêts à négocier.
Si la réunion est positive et si les sept partenaires se présentent, on pourra alors parler du coup d’envoi de véritables négociations. On aura gravi une marche. On sera surtout sorti de l’impasse totale dans laquelle se trouve le monde politique depuis le mois de novembre, depuis que le PS a décidé de quitter le processus et que d’autres refusent de se séparer de la N-VA.
Cet après-midi, la réunion aura donc lieu sans la N-VA. C’est le CD&V, le parti social-chrétien de Sammy Mahdi et Benjamin Dalle, qui est appelé à la table de discussion. Un CD&V qui a déjà confirmé sa présence, mais qui a aussi rappelé ses exigences : il veut bien entrer dans une majorité, mais à condition de disposer d’un poste ministériel. Ce qui signifie créer un quatrième poste pour la minorité néerlandophone. On devrait donc, pendant cette législature, avoir un poste de secrétaire d’État en plus du côté néerlandophone. Lors de la conférence de presse vendredi, Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer ont confirmé qu’ils avaient vérifié la faisabilité de cette demande. Ils disposent bien d’une majorité des deux tiers qui accepterait de créer ce poste supplémentaire. Les deux informateurs ont toutefois précisé que cela devrait se faire à budget constant : il faudra donc que les autres cabinets ministériels coûtent moins cher pour que l’on puisse créer ce quatrième poste.
Cet obstacle levé, il devient donc réellement possible de se passer de la N-VA. Les discours des informateurs vendredi se voulaient optimistes et volontaristes. Il est temps d’entrer en négociation et d’affronter les problèmes de la région bruxelloise, en particulier son endettement. Outre le CD&V, le PS et Vooruit ont déjà dit qu’ils acceptaient de participer à la discussion de cet après-midi. Il ne reste donc plus que la famille libérale à convaincre : le MR et l’Open VLD, sans lesquels cette majorité n’en serait plus une. Pour l’instant, les deux partis réservent leur communication. Sans doute en saura-t-on un peu plus après les bureaux de parti qui se tiendront ce matin.
On comprend bien le questionnement et la déception dans les rangs libéraux. Avoir la N-VA à bord, c’était la certitude d’une majorité qui penchait très à droite et disposait d’un relais fort au niveau fédéral grâce à Bart De Wever. Se passer de la N-VA, c’est offrir une victoire symbolique au Parti socialiste d’Ahmed Laaouej et s’exposer à des mesures de rétorsion de la part de la N-VA. La crainte d’un gouvernement bruxellois qui pencherait plus à gauche doit être relativisée. Remplacer la N-VA par le CD&V, cela ne change pas grand-chose en termes de programme. Benjamin Dalle a dit et redit que, pour lui, il faudrait des réformes structurelles et un retour à l’orthodoxie budgétaire. Les libéraux peuvent donc être rassurés sur ce point.
Et puis surtout, on ne peut pas avoir crié depuis cinq mois qu’il est minuit moins cinq et que Bruxelles brûle pour ensuite refuser de monter en négociation quand le blocage est enfin sur le point d’être dépassé. S’ils devaient pratiquer la politique de la chaise vide, les deux partis libéraux prendraient la responsabilité du blocage. On finirait par se demander s’ils ont vraiment envie de gouverner Bruxelles, s’ils ont vraiment envie de réformer la région bruxelloise… ou si, au final, leur véritable priorité était de renvoyer le PS dans l’opposition pour ne pas avoir à travailler avec lui.
Pour que l’équation réussisse – on l’a déjà dit souvent dans cet éditorial – il faut que le MR et le PS acceptent de travailler ensemble. Aujourd’hui, de par leur poids électoral respectif, ces deux partis sont à la région bruxelloise ce que le couple franco-allemand est à la construction européenne. Ils n’ont pas forcément les mêmes objectifs. Mais s’ils acceptent de travailler ensemble, ils ont la capacité d’entraîner tous les autres. S’ils se tournent le dos, c’est toute la machine politique qui sera grippée.
Cet après-midi, c’est donc l’heure de vérité. Qui est capable, ou pas, de mettre l’intérêt de la région bruxelloise et de ses habitants avant son propre intérêt partisan ? On aura la réponse à 15 h. Ce qui ne signifie pas que l’on sera au bout des négociations. Si le PS a gagné une manche en démontrant qu’il est effectivement mathématiquement possible de se passer de la N-VA, ses partenaires l’attendront au tournant sur sa volonté de réforme. La famille libérale, le CD&V et même Les Engagés attendront sûrement de leur partenaire rouge qu’il démontre que lui aussi est capable de lever certains de ses tabous pour améliorer la gestion de la région, quitte à ne pas toujours caresser sa base électorale dans le sens du poil.
Aujourd’hui, nous sommes le 17 mars. Depuis le dimanche des élections, le 9 juin, 281 jours se sont écoulés. 281 jours sans gouvernement ni véritables négociations. Il est plus que temps de s’y mettre. Avec un peu de bonne volonté, on pourrait même fixer un objectif aux négociateurs : la fête de l’Iris, le 8 mai. Cela laisserait 52 jours pour former un gouvernement. Avec un changement de méthode initié par Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer, qui consiste à mettre sept partenaires autour de la table pour ne plus négocier séparément les néerlandophones d’un côté et les francophones de l’autre, 52 jours, c’est possible. Et c’est le vœu que l’on ose former ce matin.
Fabrice Grosfilley