L’édito de Fabrice Grosfilley : nous étions tous visés
Ce sera la troisième et dernière semaine consacrée à la parole des victimes. Ce lundi, au procès des attentats du 22 mars 2016, on entendra à nouveau le récit des victimes survivantes, et celui des proches des personnes décédées. On a déjà dit et écrit beaucoup de choses sur ces témoignages. Et on pourrait se dire, qu’après avoir entendu tant de récits pendant deux semaines déjà, on a compris la chanson. Ce serait une erreur. Ce danger de la banalisation qui nous guette tous, nous les journalistes, mais aussi vous le public qui suit de plus ou moins près le déroulement de ce procès, nous devons le combattre. Nous devons le combattre parce qu’un témoignage n’est pas l’autre. Et que pour pouvoir comprendre la réalité de ces attentats, la réalité de leurs conséquences concrètes, des séquelles et de la douleur que portent les victimes et leurs familles, il est utile d’entendre la diversité des situations, la palette des émotions qui va de la rage au pardon.
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Ce lundi matin, ce sont les sœurs de Lauriane Visart qui s’exprimeront. Lauriane, la fille du journaliste Michel Visart. Nous sommes surement très nombreux à avoir en mémoire l’intervention de Michel au journal de la RTBF quelques semaines après les attentats. Ce moment où il est venu témoigner de sa douleur, mais aussi du message de tolérance qu’il voulait continuer à porter parce que ces valeurs-là étaient celles que défendaient Lauriane. On a tous souligné la dignité et la détermination sans faille de Michel Visart et de sa famille dans le message délivré. Étant à l’époque un collègue de Michel, j’aurai personnellement très longtemps en souvenir ce SMS qui m’annonçait, en pleine ébullition d’une rédaction occupée à couvrir un évènement aussi dramatique, qu’il ne viendrait pas le lendemain parce qu’il était sans nouvelles de sa fille. Ce genre de moment où on a la gorge qui se serre, où l’information dramatique se rapproche au point de devenir extrêmement concrète, où l’on ne sait plus quoi dire, où on essaye de se mettre à la place de l’autre, mais où il faut avoir la modestie de se dire qu’on ne peut pas vivre sa souffrance, qu’on ne peut en réalité même pas l’imaginer. Perdre un proche lors d’un attentat, c’est d’abord un moment incertitude et d’angoisse difficilement imaginable. On commence par ne pas savoir. On attend des nouvelles qui ne viennent pas. On imagine le pire et en même temps, on se trouve des raisons d’espérer. Peut-être que le proche a une bonne raison de ne pas donner de nouvelles. Peut-être qu’il ou elle est seulement blessé·e, que le pire a été évité. Une torture mentale qui peut prendre des allures d’éternité. Il faut avoir une grandeur d’âme exceptionnelle pour délivrer après cela un message de résilience qui profite à tous.
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Ce matin, ce ne sont pas les parents de Lauriane qui s’exprimeront. Ce sont ces sœurs. Elles diront le manque. Elles diront leur vie qui continue avec ce trou d’une sœur disparu. Ensuite, on entendra des rescapés : Christelle, Stella, Alhem, Sara, Saba. Toutes et tous blessé·e·s dans le métro. Elles et ils diront leurs souffrances, leurs blessures. Leurs blessures physiques, leurs blessures mentales ou psychiques aussi. Parce qu’on ne le répétera jamais assez : un attentat, ce n’est pas un moment qu’on subit puis qu’on oublie. C’est une atteinte à votre intégrité qui vous suivra jusqu’à la fin de votre vie. La reconstruction est possible. Le pardon aussi. Mais c’est un long chemin. Ce chemin, tous les Bruxellois, que nous ayons vécu ces attentats de près ou de loin, nous devons le parcourir aux côtés des victimes. Parce que tous les Bruxellois, quelque soit notre âge, notre religion ou conception philosophie, notre condition sociale, notre orientation politique… nous aurions tous pu être une victime. Et c’est ce que ce procès doit sans cesse nous rappeler, et que les avocats de la défense n’auront pas le droit de masquer : nous étions, Bruxellois, Bruxelloises, tous visé·e·s.
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Fabrice Grosfilley