L’édito de Fabrice Grosfilley : le poids des mots et le choc de l’asile

Ce sont des mots qui claquent.Situation honteuse, cruellement indigne, incurie, irresponsabilité, négation de l’État de droit... ” : tous ces mots sont ceux du directeur d’Amnesty International quand il évoque le chapitre consacré à la Belgique dans le rapport annuel de son organisation. Ce célèbre rapport annuel est le baromètre du respect des droits humains de par le monde. Habituellement, la Belgique y fait plutôt figure de bon élève, enfin disons d’un élève qui est plutôt au-dessus de la moyenne. On ne torture pas, on n’applique pas la peine de mort, on ne persécute par de minorités. Mais cela ne veut pas dire que nous soyons exemplaires, loin de là. Au-dessus de la moyenne, mais pas du tout dans les premiers de la classe, la Belgique. Depuis des années, Amnesty International pointe du doigt la surpopulation dans les prisons et les conditions de détention désastreuses dans certains établissements pénitentiaires où l’accès aux sanitaires ou aux soins médicaux n’est pas assuré correctement. L’organisation non gouvernementale s’inquiète aussi du racisme qui existe sur notre marché du travail ou dans l’accès au logement. Une “discrimination structurelle, directe et persistante”, dit le rapport, qui note également que les étrangers sont plus à risque de subir des violences policières lors de leur arrestation ou de leur garde à vue.

Bref, pas de quoi pavoiser la Belgique. En matière de droits humains, nous ne sommes pas un exemple. Mais le pire du pire, c’est bien notre gestion des demandeurs d’asile. Pour Amnesty, les autorités belges “laissent la crise de l’accueil se prolonger” et “continuent de se montrer cruellement indignes des valeurs qu’elles prétendent défendre en laissant des centaines de personnes demandeuses d’asile – dont des enfants – à la rue, sans ressources, en contradiction totale avec leurs obligations relatives au droit d’asile et au droit d’accueil qui y est lié“, fustige donc Philippe Hensmans, dans un communiqué paru cette nuit. Et Amnesty de rappeler que l’État fédéral a bien été condamné 7 000 fois pour l’absence hébergement des demandeurs d’asile… et que pour l’instant, il n’a toujours pas payé les astreintes auxquels il a été condamné. Cette position d’un gouvernement qui s’affranchit de ses obligations internationales, qui se moque de ses propres lois et qui ne fait rien pour éviter des condamnations est évidement interpellante. C’est la négation de la notion même d’état de droit. Quand le pouvoir exécutif se croit au-dessus du pouvoir judiciaire, il est sur une pente dangereuse qui est celle qu’emprunte tous les pouvoirs autoritaires. Il y a 10 ans, 20 ans, 50 ans, on n’aurait jamais cru devoir dire ou écrire cela d’un gouvernement belge.

Bien sûr, la Belgique n’est pas le seul État épinglé par Amnesty International. Et on pourra toujours trouver que c’est pire ailleurs, évidement. Mais ce relativisme est justement l’inverse du caractère universel qu’on souhaite donner à la notion de droits humains. Et Amnesty International le dit très bien avec un message destiné pas seulement à la Belgique, mais à l’ensemble des pays occidentaux. C’est la pratique du deux poids, deux mesures. Quand nos pays réagissent avec force à l’agression russe en Ukraine, mais ferment les yeux sur de graves violations des droits humains commises ailleurs, avec un silence qui pourrait apparaitre comme complice. Et l’organisation d’évoquer l’Éthiopie ou la Birmanie sur lesquels nous ne disons jamais rien. “Les États ne peuvent pas un jour critiquer des violations et le lendemain tolérer des actes similaires dans d’autres pays uniquement parce que leurs intérêts sont en jeu.” Ce sont les mots de la secrétaire générale de l’organisation, Agnès Callamard. Et ça aussi, ce sont des mots qui claquent.

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Fabrice Grosfilley