L’édito de Fabrice Grosfilley : le phasage

Ce sera donc un étalement, mais sûrement pas un renoncement. La majorité fédérale, la coalition Arizona, a confirmé l’entrée en vigueur de sa réforme du chômage au 1er janvier de l’année prochaine. La loi-programme a été approuvée en deuxième lecture par le Conseil des ministres restreint. À partir de 2026, le chômage sera donc limité à deux ans maximum. Pas un jour de plus.

Malgré les alertes, les manifestations, malgré les appels pressants des CPAS, des Régions, de l’Onem, le cap reste le même. Le texte a été phasé, mais pas assoupli. Le 1er janvier 2026, les premières exclusions tomberont : 25.000 personnes sur l’ensemble de la Belgique. Ce premier groupe sera composé de personnes au chômage depuis plus de 20 ans. Suivront, le 1er mars, 42.500 demandeurs d’emploi inoccupés depuis plus de 8 ans, puis, le 1er avril, tous ceux qui auront dépassé le cap des deux ans, soit 45.000 personnes. Deux mois plus tard, en juillet, ce seront tous ceux qui n’auront pas cumulé cinq ans de travail effectif avant d’entrer au chômage, ainsi que les jeunes en stage d’insertion. Là, cela concerne 85.000 personnes à l’échelle du royaume.

Derrière tous ces chiffres, il y a des personnes. Pour la Région bruxelloise, cela représente environ 30.000 personnes. Trente mille personnes qui vont donc subir une réelle baisse de revenu, et dont une partie devrait logiquement se tourner vers les CPAS, au risque d’engorger ces centres publics d’aide sociale, qui sont déjà aujourd’hui au bord de l’asphyxie.

L’idée de cette réforme, ce n’est pas de conduire les demandeurs d’emploi vers les CPAS. C’est de les encourager à trouver un travail. Vous connaissez la politique de la carotte et du bâton. La carotte, c’est de gagner plus d’argent quand on travaille. Le bâton, c’est d’en perdre lorsqu’on reste longtemps au chômage. C’est cette philosophie qui sous-tend la réforme. C’est un pari.  Parce qu’exclure, ce n’est pas activer. Réduire la durée du chômage, ce n’est pas créer des emplois. Les spécialistes de ces questions estiment qu’au moins un tiers des exclus ne retrouvera pas rapidement un emploi. Avec un grand risque, pour eux, que cette réforme se solde par une vague de précarisation plutôt que par une dynamique de relance. Mais comme on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, on peut aussi se dire que, pour d’autres, cette réforme aura servi de déclencheur, et donc eu un effet bénéfique.

Pour que l’objectif de cette réforme soit réellement atteint, il faut surtout qu’il y ait des emplois à pourvoir. Or, les Régions ne sont pas sur un pied d’égalité. Fin 2024, il y avait 172.000 emplois vacants en Belgique. Les deux tiers d’entre eux, plus de 110.000, se trouvaient en Flandre. À Bruxelles, il n’y avait que 21.000 offres d’emploi qui ne trouvaient pas preneur, soit à peu près 12 % du total. Encore faut-il que les demandeurs d’emploi puissent correspondre au profil recherché par les employeurs, qu’ils aient les compétences requises. Et cela ne dépend pas uniquement du Fédéral. L’éducation, la formation, ce sont des compétences dévolues aux Communautés et Régions. Ce sont donc les Régions qui devront accompagner, former, insérer, et les organismes d’emploi – Forem, VDAB, Actiris – qui devront être prêts, informatisés, outillés. Tous ces organismes seront-ils réellement prêts au 1er janvier, au 1er mars, au 1er avril ou au 1er juillet ? On peut être sceptique. Actiris, par exemple, réclamait un décalage de six mois. Il ne l’a pas obtenu.

La réforme a donc franchi l’étape politique. Mais la mise en œuvre pratique n’est pas gagnée d’avance. Ceux qui étaient contre cette réforme hier ne sont donc pas du tout rassurés par ce léger décalage dans le temps. Pour la CSC, le syndicat chrétien, elle reste incompréhensible, simpliste et relève toujours du fétichisme politique. Pour le ministre bruxellois de l’Emploi, Bernard Clerfayt, le gouvernement fédéral est resté « sourd et aveugle » aux réalités du terrain dans la capitale, et c’est « loin » d’être une réponse à la hauteur des enjeux.

Comment juger demain si cette réforme aura été bénéfique ou pas ? Au nombre d’emplois créés par exemple. Ce sera l’un des paramètres pertinent (le nombre de chômeurs indemnisés, en revanche, ne le sera plus, on ne compare pas des pommes avec des poires).  On ajoutera deux paramètres supplémentaires. Un paramètre budgétaire : le Fédéral a prévu que cette réforme serait bénéfique pour les caisses de l’État. La Cour des comptes a déjà fait savoir qu’elle trouvait ces prévisions largement surestimées. Et un paramètre politique : Vooruit, le parti socialiste néerlandophone, a de nouveau lié cette réforme du chômage à l’entrée en vigueur d’une taxe sur les plus-values. Conner Rousseau menace donc de ne pas voter la réforme du chômage si la taxe sur les plus-values n’est pas prête à être appliquée dans le même temps. C’est une menace. Mais elle dit assez bien qu’avec cette réforme, ce sont les moins favorisés qui vont être mis en difficulté. Pour les épaules les plus larges, il va falloir aussi dire clairement comment elles seront mises à contribution, si l’on veut bien sûr que la politique d’ensemble du gouvernement Arizona puisse paraître équilibrée.

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