L’édito de Fabrice Grosfilley : le combat des CPAS
Un pavé dans la mare. Un scud ou une attaque aux relents politiques pour les uns, un scandale qui démontre une nouvelle fois la mauvaise gestion des deniers publics pour les autres. Le reportage du magazine Panorama de la VRT a mis le feu aux poudres hier. Et l’affaire risque de ne pas en rester là. La ministre des Affaires sociales, Karine Lalieux, devra répondre aux questions des députés ce jeudi après-midi lors des questions d’actualité. Il est d’ores et déjà prévu qu’elle sera également auditionnée en commission la semaine prochaine. Une commission des Affaires sociales pourrait également entendre les journalistes ayant réalisé ce reportage ou d’autres intervenants liés au dossier. On ne parle pas encore de commission d’enquête, mais ce n’est pas exclu.
Un autre niveau d’indignation se fait sentir à la Région bruxelloise. Là aussi, des parlementaires pourraient se saisir de la question et auditionner Alain Maron, en charge de l’aide sociale. La N-VA, notamment, craint que ce qui a été découvert à Anderlecht ne soit pratiqué dans d’autres communes. Et puis, il y a bien sûr le niveau communal. Comment la nouvelle majorité anderlechtoise PS-MR va-t-elle gérer ce dossier ? Quelles dispositions seront prises pour éviter que de telles situations se reproduisent ?
Pour rappel, dans ce reportage de la VRT, on a pu voir à quel point le travail des salariés du CPAS était devenu difficile. Avec 200 dossiers par assistant social, une charge mentale très lourde, la pression des élus locaux qui n’hésitent pas à intervenir dans certains cas pour les faire avancer plus vite, et l’agressivité croissante des demandeurs, certains se montrant très revendicatifs, voire ouvertement menaçants lorsqu’ils n’obtiennent pas gain de cause. Ce que ce reportage a également mis en lumière, c’est le manque de contrôle dans l’attribution du revenu d’intégration. Par exemple, deux étudiants ont pu obtenir plus de 7 000 euros d’aide alors qu’ils n’y avaient pas droit puisqu’ils n’habitaient même pas la commune. Visiblement, on a décidé de leur faire confiance, sans mener de réelles vérifications.
Pas d’enquête domiciliaire, des contrôles bâclés, mais aussi des délais de paiement anormalement longs. Les dégâts en termes d’image sont énormes. Et le président du CPAS au moment du tournage, qui date de plusieurs mois, Mustapha Akouz (remplacé en juin), se trouve dans une position délicate. Le CPAS de la commune apparaît comme une sorte de bateau ivre, avec un capitaine très peu préoccupé par la bonne utilisation des deniers publics.
“Toute la lumière devra être faite sur les éventuels dysfonctionnements dans la gestion de certains dossiers individuels”, a affirmé hier le bourgmestre d’Anderlecht, Fabrice Cumps dans un communiqué. Soulignant les difficultés auxquelles sont confrontés les services sociaux — il faut rappeler qu’Anderlecht est la troisième commune la plus pauvre de Belgique —, il a tenu “à saluer les équipes d’assistants sociaux qui, dans leur immense majorité, font un travail sérieux et de qualité dans des circonstances particulièrement compliquées.” Le bourgmestre a également pointé une situation “rendue encore plus difficile sur le terrain par la concentration sur le territoire communal de structures d’accueil pour personnes fragilisées.” En clair, quand on concentre la misère sur quelques communes, c’est difficile à gérer. Fabrice Cumps a ainsi appelé les négociateurs fédéraux à se montrer solidaires et à financer suffisamment l’aide sociale. Les CPAS sont en première ligne, mais leur financement vient du fédéral. La situation sociale dans la Région bruxelloise, particulièrement dans les communes du nord et de l’ouest, est effectivement alarmante.
Cela n’empêche pas qu’il y ait eu des légèretés, voire des fautes, au CPAS d’Anderlecht. Ces éléments alimentent le moulin de ceux qui affirment, notamment en Flandre, que la gestion francophone n’est pas à la hauteur : qu’on gaspille l’argent public, qu’il y a du clientélisme et un laisser-aller généralisé. Dans ces conditions, l’aide sociale serait perçue comme un puits sans fond, un investissement inutile. Si on se limite au magazine Panorama pour juger ce qui se passe dans les CPAS du royaume, il est difficile de leur donner tort.
La commune d’Anderlecht, mais aussi le Parti socialiste, responsable de la gestion du CPAS d’Anderlecht à l’époque, devront démontrer qu’ils ont pris la mesure des problèmes et qu’ils resserrent sérieusement les boulons. Ces dysfonctionnements sont un carburant idéal pour les pensées ultralibérales ou nationalistes qui pourraient convaincre une part non-négligeable de l’opinion publique que l’aide sociale est inutile, ou au moins disproportionnée. Dans un contexte où des économies doivent être faites, certains pourraient estimer que ce secteur mérite des coupes budgétaires. Une idée injuste, aux conséquences potentiellement dramatiques pour les allocataires sociaux qui dépendent de cette aide pour s’en sortir. Le nombre de bénéficiaires pourrait d’ailleurs augmenter considérablement si les indemnités de chômage étaient limitées à deux ans, comme cela est discuté au fédéral.
Pour conclure, rappelons cette évidence : ce n’est pas parce que certains chefs d’entreprise fraudent le fisc ou emploient de la main-d’œuvre non déclarée que toutes les entreprises le font. Ce n’est pas parce que certains assistants sociaux ou présidents de CPAS font mal leur travail que tous les travailleurs sociaux doivent être mis dans le même sac.
Fabrice Grosfilley