L’édito de Fabrice Grosfilley : la tentation du dégagisme
Dans son édito de ce lundi 20 novembre, Fabrice Grosfilley revient sur les élections en Argentine.
C’est une nouvelle victoire du populisme. Javier Milei sera donc le prochain président de la République d’Argentine. Une victoire large avec près de 56 % des voix, immédiatement reconnue par son concurrent Sergio Massa, candidat de centre gauche et ministre sortant.
Une victoire du populisme, car c’est bien en utilisant des ficelles populistes que Javier Milei s’est imposé. Une campagne sur le thème de la liberté, de la dérégulation et de la privatisation. Javier Milei brandissait en meeting une tronçonneuse pour annoncer des coupes à venir dans les services publics. Libertarien convaincu, il a annoncé qu’il souhaite en finir avec “cette aberration appelée justice sociale, synonyme de déficit budgétaire”. Javier Milei, pendant sa campagne, n’hésitait pas à insulter ses adversaires avec des mots particulièrement crus, les traitant de voyous, de corrompus ou même d’assassins. Javier Milei, élevé dans la foi catholique, mais qui se dit aujourd’hui sur le point de se convertir au judaïsme, est aussi un militant anti-avortement décomplexé, qui a insulté le pape François en le qualifiant de “fils de pute de gauche.” Il veut supprimer le peso, une monnaie qu’il qualifie de “merde“, pour le remplacer par le dollar américain, et a promis de supprimer la banque centrale d’Argentine. Bref, il y a du Trump, du Bolsonaro, du Boris Johnson dans Javier Milei. De l’outrance, de la colère, de la violence, la volonté de choquer et de jouer systématiquement la carte de la confrontation.
Si le discours de Javier Milei porte, c’est bien sûr parce que la situation économique de l’Argentine est compliquée (euphémisme). Une inflation de 143 % sur un an, quatre Argentins sur dix qui vivent sous le seuil de pauvreté. Dans son discours de victoire, Javier Milei a donc annoncé rien de moins que “la fin de la décadence et la reconstruction du pays“, avertissant sans ambages qu’il n’y aurait pas de place “pour la tiédeur ou la demi-mesure.” Les Argentins doivent donc se préparer à une thérapie économique de choc. Évidemment, pour nous, l’Argentine est loin, et on pourrait se demander pourquoi je vous en parle ce lundi. Cela n’en reste pas moins la troisième économie d’Amérique latine, derrière le Brésil et le Mexique, même si les échanges commerciaux entre la Belgique et l’Argentine restent de taille modeste. Surtout, cette victoire de Javier Milei indique que personne n’est vacciné contre le populisme, et que la victoire d’un personnage extravagant, si elle défie l’entendement, est, à l’heure des réseaux sociaux, tout à fait possible.
Si la victoire de Javier Milei nous interpelle ce matin, c’est donc aussi pour son caractère irrationnel. “Le fou” est le surnom que lui avaient donné ses camarades d’école. Comment un homme de 53 ans, connu pour être un polémiste des plateaux de télévision, entré en politique depuis deux ans seulement, sans parti politique structuré autour de lui, peut-il, deux ans plus tard, se retrouver président de la République ? La situation nous parait inconcevable, inimaginable en Belgique. Pourtant, nous avons de multiples exemples autour de nous de ces ascensions express qui renversent la table à la faveur d’un scrutin. La première élection d’Emmanuel Macron reposait en partie sur cette dynamique (le côté populiste en moins). Ces bouleversements reposent sur un ressort qu’on a parfois le tort de sous-estimer : le dégagisme. L’idée qu’il faut renverser ceux qui sont au pouvoir. Même s’ils sont dix fois plus mesurés, compétents et sensés que ceux qui prétendent les remplacer. Peut-être surtout parce qu’ils sont compétents et sensés. L’expression de la colère débouche sur ce désir de révolution de papier. Parce qu’une élection se joue aussi sur l’émotion, et pas seulement sur la raison, ce ressort-là, n’est pas tout à fait absent de ce qu’on peut parfois lire et entendre en Belgique aussi.
Fabrice Grosfilley