L’édito de Fabrice Grosfilley : la guerre de l’info
Dans son édito de ce vendredi 05 avril, Fabrice Grosfilley revient sur la guerre de l’information entre la France et la Russie.
Je vous emmène en France ce matin. A cheval entre la France et la Russie pour ce qui ressemble à une véritable guerre de l’information. Tout commence mercredi, il y a trois jours. Ce jour-là, le ministre français de la Défense, Sébastien Lecornu décide d’appeler le ministre russe Sergueï Choïgou. Conversation téléphonique dont le but est de parler de la lutte contre le terrorisme et des informations que la France et la Russie pourraient s’échanger dans ce domaine. C’est en tout cas l’intention de départ telle qu’elle est annoncée côté français.
Ce coup de téléphone est une petite surprise. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les relations diplomatiques entre la France et la Russie oscillent entre tendues et quasiment rompues. Cela faisait un an et demi que les deux ministres de la Défense ne s’étaient plus parlés. Même chose pour leurs patrons respectifs Emmanuel Macron et Vladimir Poutine qui ne se sont plus appelés depuis septembre 2022. Mais l’attentat du Crocus Hall à Moscou, qui n’est pas sans rappeler l’assaut du Bataclan, et aussi la proximité des Jeux olympiques à Paris, ont convaincu les français qu’il était peut-être temps d’essayer de relancer une forme de coopération dans la lutte antiterroriste.
Le récit de ce coup de fil côté russe est tout autre. D’après Sergueï Choïgu, les deux ministres de la Défense auraient ainsi évoqué dans cette conversation la guerre en Ukraine et se seraient dits prêts à dialoguer. Sébastien Lecornu a démenti cette version. Pire encore, Sergueï Choïgou dans le communiqué qui faisait le compte-rendu de cette conversation téléphonique, a insinué que la France pourrait être impliquée dans l’attentat de Moscou : “le régime de Kiev ne fait rien sans l’aval de ses superviseurs occidentaux. Nous espérons que, dans ce cas, les services secrets français ne sont pas derrière cela. “ Insinuer que les services français seraient impliqués dans un attentat meurtrier a obligé Emmanuel Macron à prendre à son tour la parole, qualifiant de propos “baroques et menaçants” les affirmations russes. Le président français a même évoqué “ un accroissement de la posture agressive de la Russie et ça ne se passe pas qu’avec la France. Ce qui a été fait en termes de fuites d’informations sur des hauts responsables militaires allemands, ce qui a été fait à l’égard également du Royaume-Uni et des États-Unis dont certains responsables russes ont dit qu’ils étaient derrière l’attentat. Il y a une succession d’informations dont on sait qu’elles sont fausses, qui correspondent à des postures menaçantes”, a-t-il jugé.
Cette histoire pourrait nous faire sourire. C’est presque un cas d’école de propagande guerrière. On pourrait penser que c’est tellement énorme que cela en est grotesque. Mais ce serait sous-estimer la puissance et l’efficacité de la communication russe. Une communication contrôlée et peu remise en question. Il faut rappeler que la liberté de la presse est très relative en Russie. On doit se souvenir de ce qui a précédé l’invasion de la Crimée ou le lancement des hostilités contre l’Ukraine. Ces offensives ont, à chaque fois, été précédées par une campagne de communication intense et agressive. Les Ukrainiens ? C’était des “fascistes”. Le soulèvement de la place Maidan ? Un “putsch orchestré par des Nazis financés par l’Occident ” qui allaient persécuter les populations russophones. Il fallait donc, pour les Russes, “libérer” la Crimée, libérer le Donbass, “protéger” les populations russes en danger. Cette propagande, répétée jour après jour, elle a fini par être assimilée par l’opinion russe.
Aujourd’hui, la même propagande est à l’œuvre, vis-à-vis de la France, de l’Union européenne, de l’Occident dans son ensemble. La guerre se livre aussi sur le terrain de l’information. On pourrait même craindre que cette guerre de l’information précède des offensives militaires au sens classique du terme. C’est vrai au niveau de cet accrochage diplomatique et de cette instrumentalisation. Cela l’est aussi tous les jours, dans ce que nous pouvons lire sur les réseaux sociaux, en particulier sur le réseau X, anciennement Twitter. Avec tous les jours des affirmations qui sont délibérément fausses. Cela peut concerner l’actualité internationale. Cela peut aussi concerner l’actualité belge, avec tous les jours, là aussi, de fausses informations qui circulent sur ce réseau et des commentaires dénigrants qui tordent la réalité au nom de l’idéologie. Des propos qui entretiennent un climat de tension permanente, qui dressent les citoyens les uns contre les autres, qui visent explicitement les journalistes, les médias, les gouvernants. Entretenir la confusion, favoriser la confrontation, ne pas savoir distinguer le vrai du faux… La technique est employée avec un certain talent par les autorités russes. Il n’est pas exclu que certains en Belgique s’en inspirent également.
Fabrice Grosfilley