L’édito de Fabrice Grosfilley : hotspot, le discours de la méthode

Dans son édito de ce mardi 12 mars, Fabrice Grosfilley revient sur la stratégie régionale dans la lutte contre le trafic de drogue.

Ce n’est pas encore le grand plan spectaculaire que certain attendent ou espèrent. On ne verra pas les “robocops” et leurs lance-grenades débarquer comme c’est le cas dans les banlieues françaises. Il n’y aura pas de couvre-feu ou de militaires avec le fusil d’assaut en bandoulière au pied des barres d’immeubles. Mais c’est un premier pas vers une intensification des mesures de lutte contre le trafic de drogue. Hier, le Conseil régional de Sécurité (dites le CORES pour signifier que vous maitrisez les moindres méandres du système politique bruxellois) a donc validé une stratégie régionale pour tenter d’endiguer le phénomène des fusillades à répétition. Stratégie qui vise à articuler au mieux les moyens des polices locales et quelques initiatives régionales.

Au centre de cette stratégie, il y aura donc la définition de “hotspots”, des zones où le trafic de drogue a pignon sur rue. Ces territoires que se disputent les bandes rivales, comme autant de points de vente qui permettent d’alimenter les caisses de ces organisations criminelles. Il y a en aura entre 10 et 15, a précisé le Conseil régional de Sécurité. Ils vont maintenant être listés en concertation avec les bourgmestres et les zones de police. On pense spontanément évidemment au Peterbos ou au quartier de la Porte de Hal (avec le square Jacques Franck) par exemple. Ces hotspots seront donc des zones prioritaires de déploiement de la police locale. Cela signifie que les patrouilles y seront plus fréquentes, les contrôles plus systématiques (et sans devoir être motivés par l’indice d’un délit quelconque). Pour éviter le phénomène de déplacements et rester réactifs, une cellule de Sécurité Intégrale Régionale (CSIR), pilotée par Safe.brussels, veillera au bon échange des informations, histoire qu’on ne patrouille pas intensivement dans un quartier, alors que les trafiquants se sont installés trois rues plus loin.

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Ces zones renforcées suffiront-elles ? Pas sûr… Les bourgmestres et les six chefs de corps pourront dans ce cas aller plus loin. Dans certains cas, on pourra interdire l’accès de certains espaces à des trafiquants notoires par exemple (sur le modèle de l’interdiction de stade pour les hooligans). On pourra aussi interdire la vente d’alcool et de gaz hilarant. Tout cela reste à définir localement.

Autre aspect de la question, la pression qui sera mise sur les acheteurs. En cas de flagrant délit, un consommateur se verra infliger une sanction administrative, qui pourra prendre la forme d’une amende avec perception immédiate. Cette mesure-là, envisagée dès lundi sur notre antenne par Jean Spinette fait déjà couler beaucoup d’encre et de salive : une forme de criminalisation du consommateur, alors que ces politiques de criminalisation ont montré leurs limites, et que nos élus lorgnaient plutôt jusqu’à présent vers le modèle portugais qui repose au contraire sur la dépénalisation de la consommation. Hier, le CORES a en partie répondu à ces critiques en n’oubliant pas de parler de prévention et d’accompagnement social. Avec, à terme, des salles de consommation à moindres risques, et aussi un accompagnement des petites mains employées par les réseaux, qui sont souvent soit de jeunes adolescents désœuvrés et déscolarisés, soit des sans-papiers victimes de la traite des êtres humains.

Toutes ces annonces étaient évidemment très attendues. Hier encore, les comités de quartiers qui tentent de se faire entendre sur les questions de sécurité avaient publié un communiqué pour dire leur impatience, avec le constat que les choses ne bougent pas assez vite, et que le problème empire, alors que la sonnette d’alarme est tirée depuis longtemps. On n’est pas certain que les décisions d’hier soient suffisantes pour les rassurer. Certes, on va renforcer la coordination, on donne des possibilités aux polices locales pour intervenir différemment, de manière plus forte sur des zones plus ciblées. Mais il reste une question que le Conseil régional de Sécurité n’aborde pas, en partie parce qu’il n’en a pas la compétence, c’est la question des moyens. On peut décider de multiplier les contrôles. Mais il faut des policiers pour les réaliser. Cela dépend évidemment des dotations des zones de police, du recrutement et de la formation de nouveaux policiers. La clef est en partie au fédéral, qui était le grand absent de la réunion d’hier. C’est donc le non-dit, ou la “zone impensée” de cette stratégie. Qui sera sur le terrain pour les contrôles, pour les sanctions, mais aussi pour l’accompagnement médical ou social qu’on annonce ? Affronter cette question est indispensable. Le discours de la méthode ne pourra pas suffire.

Fabrice Grosfilley

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12 mars 2024 - 11h16
Modifié le 12 mars 2024 - 11h16