L’édito de Fabrice Grosfilley : faut-il sauver le soldat Audi ?

Est-il possible d’assurer un avenir à l’usine Audi Forest  ?  C’est la question sur laquelle plancheront les pouvoirs publics et la direction de l’usine aujourd’hui avec la mise en place d’une task force installée par le Premier ministre Alexander de Croo. On y retrouvera  la direction de l’usine, le Premier ministre et le ministre de l’Economie, mais aussi les représentants des trois régions : Bruxelles bien sûr, mais aussi la Flandre et la Wallonie. Vous vous demandez pourquoi le gouvernement wallon doit-il être présent ?  D’abord parce que l’usine de Forest, bien que située en Région bruxelloise, accueille des travailleurs qui viennent d’un peu partout. Nous n’avons d’ailleurs pas de chiffres précis sur cette question, mais on estime qu’environ 10% des travailleurs d’Audi seulement résident en région bruxelloise, la question d’Audi est donc bien une question nationale.

Ensuite parce que le dispositif qui pourrait être mis sur la table aujourd’hui va dépendre en partie des régions. Notamment les questions lié à la formation ou à l’aménagement du territoire par exemple. Il s’agit d’amadouer le management de la maison-mère, Volkswagen, qui gère la question depuis l’Allemagne et pour qui Forest est une usine parmi 10 autres. Pas socialement la plus importante, le site d’Ingolstadt en Allemagne est évidement beaucoup symbolique et politiquement important. Pas la mieux placée non plus en terme géographique : Audi possède une usine en Chine et des sites d’assemblage en Inde et en Afrique du sud par exemple qui sont positionnés à proximité de marchés prometteurs. Et évidement la question des salaires est l’une des données sur la table. Le salaire horaire dans ces pays là, mais aussi en Hongrie par exemple, est inférieur à ceux qui se pratiquent en Belgique.

Pour renforcer l’attractivité de l’usine bruxelloise, la task force va donc faire la liste des efforts que les pouvoirs publics pourraient consentir. On parlera de réduction de cotisations sociales sur le coût du travail – notamment le travail en équipe qui permet de faire tourner des usine la nuit – d’incitant fiscaux pour des investissements dans des projets environnementaux (bizarrement la voiture électrique n’en fait pas partie aujourd’hui), mais aussi de formation. Les pouvoirs publics, en l’occurrence les régions, pourraient ainsi prendre en charge la mise à niveau des ouvriers pour leurs donner les connaissance nécessaires à de nouvelles machines liées à un nouveau modèle par exemple. On peut encore parler aménagement du territoire pour rapprocher l’usine de ses sous-traitants ou lui permettre d’exporter sa production plus rapidement, etc, etc.

Du point de vue du contribuable, on pourrait quand même s’étonner. Former des ouvriers à une machine précise pour un modèle précis, ce n’est pas tout à fait de la formation professionnelle désintéressée. Il y a un coté marchand de tapis ou enchères inversées dans ces discussions : la “task force” dissimule mal un jeu de courbettes devant une direction allemande qui aura le dernier mots quoiqu’il arrive. L’enjeu étant de sauver 3000 emplois, on fermera pudiquement les yeux. À moins évidement que la Commission Européenne ne mette son nez dans le dossier et ne nous rappelle à nos obligations. L’argent public, c’est pour les projets publics. Quand on le met au service d’une entreprise privée, la question de la concurrence déloyale n’est pas très loin.

Il existe une autre dimension qui devrait surgir assez vite cet après-midi. C’est l’élargissement de la discussion. Parce qu’Audi n’est pas un cas isolé. D’une manière générale c’est l’emploi industriel au sens large qui souffre en Europe. Les solutions imaginées pour Audi devront être transposables à d’autres entreprises. Comment aider un site en particulier, faire du sur-mesure, et avoir un catalogue qui profite à tout le monde, sans que cela ne pèse encore plus sur des budgets en difficulté ? Associer tout le monde, et essayer d’avoir un consensus large,  c’est là que la présence des régions prend tout son sens. La Flandre vient de vivre de plein fouet la faillite du constructeur Van Hol. C’est à la fois un avantage mais aussi un handicap pour le dossier Audi Forest. Un avantage parce que tout le monde comprend que rien n’est acquis d’avance dans le monde de la construction automobile. Un handicap parce qu’en période électorale il n’est pas impossible que certains se demandent pourquoi on devrait aider Audi... alors qu’on a laissé couler Van Hol.