L’édito de Fabrice Grosfilley : état de droit et case prison
Un président de la République française derrière les barreaux, condamné à dormir en prison. Ce n’est pas encore tout à fait une réalité, mais la probabilité que cela se produise est désormais élevée. Nicolas Sarkozy, c’est bien de lui qu’il s’agit, sera fixé sur son sort dans trois semaines. Il est convoqué le lundi 13 octobre par le parquet national financier pour connaître le lieu et la date de son incarcération. Conséquence de sa condamnation, hier, à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs. La justice l’estime coupable d’avoir laissé ses proches démarcher le dictateur libyen Mouammar Kadhafi afin d’obtenir le financement de sa campagne électorale en 2007.
À ce stade, Nicolas Sarkozy n’est donc pas encore en cellule, mais l’hypothèse de le voir passer par la case prison se rapproche, même si l’on se doute que, d’ici au 13 octobre, ses avocats feront tout pour lui éviter un tel déshonneur. C’est la première fois qu’un ancien président de la République est renvoyé en détention. Même s’il faut rappeler que Nicolas Sarkozy, déjà, avait dû rester trois mois sous bracelet électronique après sa condamnation dans une affaire d’écoutes téléphoniques illégales. En réalité, c’est donc déjà la deuxième fois que Nicolas Sarkozy est condamné à de la prison ferme. Et ici aussi à une amende de 100 000 euros.
Et ce n’est peut-être pas fini. Le 8 octobre, l’ancien président sera devant la Cour de cassation pour l’affaire Bygmalion, où il avait été condamné à un an de prison, dont six mois ferme, pour dépassement du plafond légal des dépenses de campagne lors de sa réélection de 2012. Il doit encore comparaître dans un dossier annexe de l’affaire libyenne, où il est accusé de subornation de témoin, après la rétractation de son principal accusateur, Ziad Takieddine. Il est également mis en cause dans l’attribution de la Coupe du monde de football au Qatar et fait encore l’objet d’une enquête préliminaire pour trafic d’influence dans le cadre d’une activité de conseil auprès d’un groupe d’assurances russe. N’en jetez plus : la coupe est pleine.
Évidemment, Nicolas Sarkozy proteste de son innocence. “Quelle indignité !” avait-il lancé sur un plateau TV. Il accuse à demi-mot les juges d’être politisés, s’estime victime d’un acharnement. Et ça marche. De nombreux hommes et femmes politiques de droite et d’extrême droite s’offusquaient hier en France de cette nouvelle condamnation, comme si la justice avait pu être instrumentalisée par un adversaire politique (lequel ?), ou comme si l’on pouvait douter de son indépendance. Parmi les critiques les plus souvent entendues figure cette notion de mandat de dépôt, qui veut qu’après avoir été condamné, un délinquant soit effectivement privé de liberté. Nicolas Sarkozy, rappelons-le, c’est un ancien ministre de l’Intérieur qui, à plusieurs reprises, a défendu l’idée de la tolérance zéro : le nettoyage des cités au Kärcher, “vous en avez assez de cette bande de racailles, on va vous en débarrasser”. Il est assez étrange de réclamer la sévérité pour les autres et de ne pas vouloir se l’appliquer à soi-même. On soulignera que le jugement rendu hier est épais de 400 pages, 68 infractions ont été relevées, et Nicolas Sarkozy a été relaxé pour les faits de corruption qui lui étaient reprochés.
Malgré ces condamnations à répétition, Nicolas Sarkozy conserve de l’influence. Il continue d’inspirer et de fasciner en France, et aussi en Belgique. On soulignera que l’un des premiers gestes du nouveau Premier ministre français, Sébastien Lecornu, a été d’aller rendre visite à Nicolas Sarkozy à peine après sa nomination.
Prendre pour modèle une personne condamnée à plusieurs reprises, considérer que ces condamnations ne seraient pas justifiées, contester une décision de justice, jeter la suspicion non pas sur le condamné mais sur les magistrats, voilà qui a de quoi surprendre. C’est le genre de comportement qui est de nature à saper la confiance dans les institutions et à affaiblir l’État de droit. Ceux qui s’y laissent aller devraient y réfléchir à deux fois. En agissant de la sorte, dans un réflexe aussi partisan que populiste, ils attaquent le principe de la séparation des pouvoirs et encouragent les comportements inciviques. Pourquoi obéir aux lois et à la justice si les hommes et les femmes politiques eux-mêmes les remettent en cause ? Non. Une fois jugé, un délinquant reste un délinquant, quels que soient ses cris de dénégation. Même s’il est un ancien président, et même s’il s’agit ici de délinquance en col blanc.





