L’édito de Fabrice Grosfilley : et après David Leisterh ?

Il y réfléchissait depuis des mois. En annonçant son retrait de la scène politique bruxelloise, David Leisterh a peut-être pris à contre-pied ceux qui pensaient que la séquence actuelle — une négociation budgétaire lancée le 19 septembre — n’était pas encore arrivée à son terme.

Il n’a, en revanche, pas surpris ceux qui avaient pu observer son épuisement, ses doutes, son malaise… Autant de mots qui renvoient à une problématique plus personnelle que politique, et c’est probablement de ce côté-là qu’il faut chercher la motivation de ce geste.

David Leisterh était en proie à une sorte de burn-out ou de bore-out latent depuis de longs mois. S’effaçant de longues semaines pour tenter de se rebooster, il avait déjà menacé de quitter le navire, rattrapé in extremis par Georges-Louis Bouchez à plusieurs reprises.

Il y a moins d’une semaine, interrogé par une consœur de BX1 alors qu’il annonçait sa « dernière et meilleure offre », il ne cachait pas être prêt à « prendre ses responsabilités ». Le message était limpide pour qui voulait l’entendre.

Ce pas de côté, présenté comme définitif, nous rappelle que la politique, c’est aussi une question d’hommes et de femmes faits de chair et d’os, avec leur fragilité, leur faiblesse, leur force de travail, leur empathie ou leur individualisme (pour ne pas écrire leur absence d’empathie), et leur capacité à encaisser la critique, qu’elle vienne de leurs pairs, de leurs adversaires ou des observateurs.

David Leisterh le reconnaissait d’ailleurs dans l’interview donnée mardi soir à la RTBF, au journal de 19 h :

« On est dans une dynamique de blocage, de jeux politiques, et moi je n’en ai pas l’âme. Je reconnais que je ne suis pas la bonne personne pour jouer à cela (…) C’était toute ma vie depuis 16 mois, il n’y a pas une seconde où je n’y pensais pas, et in fine, cela vous prend l’air dans vos poumons. »

Le constat d’impuissance est là, même si l’actuel président des libéraux bruxellois (il a annoncé qu’il renoncerait à ce mandat) assortissait cet aveu d’un commentaire politique ciblant le PS d’Ahmed Laaouej :

« J’ai promis d’impérieuses réformes, mais si d’aucuns ne veulent pas rentrer dans cette dynamique nouvelle, je pense qu’il faut que je fasse un pas de côté. »

Une confusion des rôles

On pourra écrire beaucoup de choses sur la manière dont David Leisterh a mené ces négociations. Sa personnalité ne l’incitait sans doute pas à entrer en confrontation directe avec ses interlocuteurs. Il a sans doute voulu trop souvent ménager la chèvre et le chou, et il lui aura peut-être manqué, dans les moments cruciaux, la prise de risque nécessaire à la conclusion d’un accord.

Mais on devra reconnaître qu’il a surtout buté sur une double intransigeance : celle du PS et celle du MR, qu’il a fini par incarner, qu’il le veuille ou non.

Entre Ahmed Laaouej, qui ne veut pas de la N-VA et exige un budget qui ne suive pas la ligne austéritaire choisie aux autres niveaux de pouvoir, et un MR qui veut au contraire imprimer une forme de révolution libérale dans tous les gouvernements où il siège, le rôle du formateur aurait dû être de chercher un juste milieu, d’inventer la formule permettant à chacun de continuer à défendre son propre récit médiatique, à défaut d’un récit commun. Cela imposait de se distancier de la ligne de son propre parti pour pouvoir faire la synthèse.

Ces dernières semaines, David Leisterh n’était plus dans cette position. En rappelant l’Open VLD au détriment du CD&V dans la négociation, le MR avait clairement indiqué qu’il continuait de privilégier la radicalité politique au détriment du compromis « à la belge ».

Il continuait de ne pas vouloir tenir compte d’une réalité parlementaire particulièrement morcelée et complexe, mais qui ne lui est pas aussi favorable qu’il le prétend, tout premier parti qu’il soit. Se scotcher à Frédéric “monsieur non” De Gucht — qui avait déjà débranché la prise à deux reprises durant ces 16 mois de négociation — n’était pas un signe d’ouverture.

Derrière David Leisterh, l’ombre de Georges-Louis Bouchez était de plus en plus présente. À tel point que, lors des entretiens bilatéraux de ces dernières semaines, le président du MR était presque toujours là. Les partis bruxellois n’avaient donc pas rendez-vous avec le formateur : ils avaient en face d’eux un duo, composé du formateur et de son président de parti. Le formateur n’était donc plus en capacité d’arbitrer ni de se placer au-dessus de la mêlée.

L’échec de David Leisterh est aussi celui de son président de parti, et celui d’une confusion des rôles.

Bouchez dans le rôle du formateur : crédible ?

Le désormais bourgmestre de Watermael-Boitsfort a fini par acter qu’il ne lui serait pas possible de concilier les points de vue du MR et du PS — et de certains partis comme Vooruit, souvent restés au balcon mais n’ayant pas non plus approuvé la note libérale.

La volonté de Georges-Louis Bouchez de reprendre directement la position de formateur est un pari à quitte ou double. Il ne sera pas aisé de reconnaitre à un non bruxellois la légitimité nécessaire pour mener à bien une négociation tellement enlisée.

Si le président du MR ne dévie pas de sa ligne, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Imposer une ligne de rigueur budgétaire sera recalé par les partenaires de négociation, et le sacrifice de David Leisterh n’aura servi à rien.

Si, au contraire, le président du MR se décide à faire des concessions et parvient à rétablir une relation avec Ahmed Laaouej — où chacun accepte de faire un pas vers l’autre —, il sera peut-être possible d’imaginer un atterrissage.

Car on n’exonérera pas le PS de sa part de responsabilité dans le blocage actuel. MR et PS sont toujours condamnés à s’entendre pour pouvoir réussir.

Il faudra aussi se poser la question du casting MR dans le cas où ces négociations aboutiraient.  Qui incarnerait le parti libéral dans un éventuel exécutif ? Valentine Delwart (associée aux négociations budgétaires ces dernières semaines), Olivier Willocx et Bernard Quintin peuvent paraitre des candidats crédibles, mais c’est Georges-Louis Bouchez qui décidera au bout du compte.

Les autres pistes

Dans le cas où MR et PS ne collaboreraient pas — ce qui, au vu des déclarations de ces dernières heures, semble le plus probable —, il faudra acter l’échec de cette négociation budgétaire.

Plusieurs options seront alors possibles :

  • changer de formateur (et remettre en selle Yvan Verougstraete) ;

  • changer de coalition (pencher à droite ou à gauche, selon ce qu’Écolo et Défi pourraient accepter) ;

  • confier la préparation du budget au gouvernement en affaires courantes (mais il faudra que l’Open VLD, avec Dirk De Smedt, participe loyalement à l’exercice) et  demander l’appui de forces extérieures pour le faire voter au Parlement régional — comme cela a été le cas pour les douzièmes provisoires ces derniers mois.

  • déposer une résolution ou provoquer un débat budgétaire au parlement et chercher une majorité alternative (qui risque de pencher à gauche)

Les solutions ne manquent pas, pour peu qu’un certain nombre d’interlocuteurs soient convaincus que l’intérêt de la Région bruxelloise se résume désormais à cette formule :

Il faut sortir des douzièmes provisoires au plus vite. Et pour cela, il vaut mieux un budget imparfait que pas de budget du tout.

Retour sur les 506 jours de David Leisterh formateur:

BX1
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