L’édito de Fabrice Grosfilley : Déboussolés

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Désorienté, même désemparé. C’est l’impression que nous donne le monde politique ces derniers jours. Un monde politique incapable de s’entendre pour mettre en place une nouvelle majorité. Un monde politique qui, faute de projet commun, n’assure plus que la gestion minimale des affaires courantes avec un budget en douzièmes provisoires qui maintient en l’état les politiques existantes mais empêche tout nouveau projet d’émerger.

Pendant ce temps-là, le déficit se creuse faute de mesures d’économie, et des décisions importantes, des chantiers ou des investissements sont remis à plus tard. Un exemple parmi tant d’autres : le remplacement des Villo!, les vélos en libre-service, dont la concession arrive à échéance fin 2026. Il faudrait décider si on les maintient ou non, et qui en assurera la gestion. Certains pensent que cela doit être la STIB pour garantir une articulation optimale avec les transports en commun. Mais c’est typiquement une décision que seul un gouvernement de plein exercice peut prendre. Si les choses continuent ainsi, Villo! s’arrêtera, et il n’y aura rien pour le remplacer.

Des exemples comme celui-ci, on pourrait en citer des dizaines : des chantiers dans les tunnels à l’avenir des allocations familiales, de l’encadrement (ou non) des loyers à la création de logements, en passant par les limitations de vitesse, le prix de l’énergie ou l’installation d’un terrain de basket. Parce que la politique, la gestion des affaires publiques, c’est beaucoup moins éloigné de notre vie quotidienne que certains citoyens, un peu désabusés, finissent par le penser.

C’est pour cela qu’on a besoin d’un gouvernement de plein exercice. Pas uniquement pour agir sur les finances, mais aussi pour définir un projet de ville. Ce projet, il n’est nulle part. Et au contraire, il semble impossible à réaliser tant les convictions des uns sont éloignées des principes des autres. Et si nous sommes aujourd’hui dans une telle impasse, c’est avant tout parce que Bruxelles est devenue une monnaie d’échange. Que de nombreux hommes politiques, qui ne sont pas tous bruxellois, se servent de Bruxelles pour assouvir leur soif de pouvoir et poursuivre des objectifs extérieurs aux intérêts de la Région bruxelloise.

C’est le Parti socialiste qui refuse de s’associer à la N-VA parce que cela contredirait son image d’opposant déterminé à la politique du gouvernement Arizona. C’est le Mouvement réformateur qui ne veut pas s’associer au Parti socialiste parce que cela contrarie son repositionnement à droite toute. Ce sont les écologistes qui ne veulent pas entrer dans un gouvernement parce que leur priorité est de se refaire une santé dans l’opposition. C’est l’Open VLD qui décide de tout bloquer alors qu’une solution est à portée de main, parce que son nouvel homme fort veut surtout reconquérir l’électorat flamand qu’il a perdu, plutôt que de gouverner une grande ville qui lui importe assez peu. Tout le monde a donc une bonne raison de se montrer radical dans ses positionnements.

Le constat que Bruxelles est devenue une variable d’ajustement des stratégies partisanes, on en a encore eu la preuve hier au Parlement bruxellois. Quand le PS a voulu que le Parlement régional puisse entendre les ministres fédéraux de l’Intérieur et de la Justice pour faire le point sur les mesures mises en place contre le trafic de drogue et les fusillades à répétition. Théoriquement, cela ne se fait pas qu’un Parlement régional puisse entendre des ministres fédéraux, et inversement. Chacun son niveau de pouvoir. Mais après tout, c’est de bonne guerre puisque le Parlement fédéral, via les questions d’actualité ou les auditions sur le CPAS d’Anderlecht, marche désormais sur les platebandes du Parlement régional.

À cette manœuvre politiquement intéressée du Parti socialiste, les libéraux ont répondu par un blocage tout aussi politiquement téléguidé de la présidente de la commission des Affaires intérieures, qui a refusé de mettre la proposition aux votes. Cela n’a pas empêché tous les partis de se retrouver, par exemple, sur l’autorisation des terrasses dans une autre commission. Et probablement que les débats prendront encore une autre tournure lorsqu’il faudra voter la nouvelle tranche de douzièmes provisoires en séance plénière ce vendredi. Les députés régionaux semblent comme nous : déboussolés. Une fois, ils agissent dans l’intérêt des Bruxellois. La fois d’après, c’est dans l’intérêt de la stratégie partisane décidée par leur président de parti.

Le problème d’un système politique, lorsqu’il perd le nord, c’est qu’il devient inopérant. Inutile.  Nous, citoyens, nous n’en pouvons plus de ce mauvais vaudeville. De cette manière très masculine de faire de la politique à coups d’oukases et de violence verbale. De compromis qui n’en sont pas, de bras de fer où l’on s’impose à coups de menton sans prendre la peine de s’écouter. La stratégie des partis c’est d’accentuer les clivages et de tourner le dos à toute discussion constructive.  La situation actuelle, ce fiasco volontairement imposé, donne évidemment du grain à moudre à tous ceux qui, depuis longtemps, s’opposent à l’existence et à l’autonomie de la Région bruxelloise. Oui, c’est la Région bruxelloise qu’on met délibérément en danger. Une Région qu’on rabaisse et qu’on instrumentalise au profit de stratégies qui ne la concernent pas. Pour parer ces attaques contre les intérêts de Bruxelles et de ses habitants, on voudrait rappeler une évidence ce matin : si on fait de la politique, c’est pour gouverner. Et rien d’autre.