L’édito de Fabrice Grosfilley : David Leisterh dans le money time
Avance-t-elle, la négociation sur le budget ? Oui, lentement, très lentement, trop lentement diront sûrement certains… mais globalement, elle avance. Cahin-caha, avec deux pas en avant et un pas en arrière.
Crise après crise, on se rapproche du moment où la mayonnaise pourrait enfin commencer à prendre. Et puisqu’on parle de mayonnaise, on se doute bien que le formateur David Leisterh marche sur des œufs. Qu’amalgamer les projets de la famille libérale, les demandes du Parti socialiste et les objectifs des écologistes de Groen n’est pas une mince affaire. Faire travailler ensemble des personnalités aussi ombrageuses et déterminées que Georges-Louis Bouchez, Frédérique De Gucht et Ahmed Laaouej, sans oublier — dans une autre tonalité — Elke Van den Brandt, Ans Persoons et Yvan Verougstraete, cela revient à mélanger de l’huile et du vinaigre, auxquels on ajoute une bonne poignée de sel liée à la situation budgétaire. Il faut donc touiller longtemps avant que le mélange ne devienne mangeable.
Hier, le formateur David Leisterh est revenu devant ses partenaires de négociation avec une nouvelle proposition de tableau budgétaire. Pour éviter que les débats ne partent en vrille, il a choisi de ne pas le présenter en réunion plénière. Il a donc reçu les délégations une à une pour leur exposer ce tableau. Dire que cette présentation a suscité l’enthousiasme et que tout le monde serait presque prêt à marquer son accord serait mentir. Mais on notera à ce stade que personne n’a claqué la porte ni fait de commentaires dans la presse — ce qui est déjà un signe encourageant. Les délégations ont jusqu’à la fin du week-end pour faire part de leurs remarques. En fonction de celles-ci, le formateur verra la semaine prochaine s’il peut ou non organiser une négociation en séance plénière.
Sans avoir vu les tableaux en question, on peut esquisser quelques hypothèses sur ce qui fera débat. Le cadre est connu : il faut réduire le déficit d’un milliard d’euros en quatre exercices. La négociation porte donc sur les budgets de 2026 à 2029 inclus. Avec 750 millions d’efforts à faire sur les dépenses et 250 millions à aller chercher grâce à des recettes supplémentaires.
Dans les dépenses, on connaît les grands postes : la mobilité, les transports, l’environnement, le logement. Les plans pluriannuels d’investissement d’organismes comme Bruxelles Mobilité, la STIB ou la Société du logement de la Région bruxelloise seront donc probablement revus à la baisse. Alors que Bruxelles Mobilité, qui doit rénover des tunnels, ou la STIB, qui veut développer de nouvelles lignes de tram, avaient au contraire demandé des budgets à la hausse. Pour le logement, la situation est un peu différente : la SLRB pourrait travailler à enveloppe inchangée.
On ajoutera un autre chantier : celui de la rationalisation des administrations et organismes bruxellois. Fusionner Actiris et Bruxelles Formation, par exemple. Il y a un consensus politique pour le faire. La difficulté est dans la manière de le faire, et surtout dans l’estimation de ce que cela rapportera réellement. Souvent, ce type d’opération coûte de l’argent dans les premières années et, au final, rapporte moins que prévu quelques années plus tard.
Vous ajoutez à cela des dossiers spécifiques ramenés par l’actualité : faut-il renoncer ou reporter l’extension du métro 3 ? Faut-il lancer des études malgré tout, ou reporter le tout à l’après-2029 ? Le dossier des aides ménagères payées par titres-services : comment financer l’augmentation salariale qui permettrait de les aligner sur ce qui se fait en Wallonie et en Flandre — ce qui ne serait que justice ? Ou encore les primes rénolution, qu’on n’arrive plus à payer, même si on ne parle encore que des chantiers réalisés en 2024 et qu’il n’y a actuellement rien de décidé pour les années à venir.
Face à ce genre de tableau, il y a deux manières de l’aborder — deux façons d’essayer de faire prendre la mayonnaise. Soit on prend le tableau ligne par ligne, et on discute de chaque poste. La ligne STIB, par exemple : décide-t-on ou non de réaliser telle ou telle ligne de tram ? Qu’est-ce que cela génère comme économie si on la reporte, ou comme dépense si on la maintient ?
Et puis, il y a la vue d’hélicoptère : si je fais un effort sur la STIB, en fait-on un équivalent sur le logement ? Les grands équilibres sont-ils respectés ? Les représentants politiques, avec leurs priorités respectives — pondérées par leur poids électoral — s’y retrouvent-ils ? C’est ce genre de message que Martin Casier faisait passer dans notre matinale hier matin, en rappelant que la droite ne pouvait pas gouverner seule à Bruxelles et qu’elle ne pourrait donc pas reproduire la politique budgétaire mise en place au sein du gouvernement « Arizona » au niveau fédéral ou à la Fédération Wallonie-Bruxelles avec une majorité MR engagée.
En réalité, il faut combiner les deux approches : l’approche ligne par ligne et l’approche hélicoptère. À la fin de ce week-end, David Leisterh aura en main les réponses des partis. Il devra alors juger du chemin qu’il lui reste à parcourir. Faudra-t-il proposer un quatrième tableau et continuer à travailler en bilatérales ? Les points de vue se seront-ils suffisamment rapprochés pour tenir une réunion plénière ? On sait que c’est en plénière que les arbitrages devront se faire : je lâche du lest sur un dossier, tu me donnes raison sur un autre. C’est comme cela que ça devra se terminer.
Le problème pour David Leisterh, c’est que l’horloge tourne. Si on veut pouvoir agir sur le budget 2026, il faut impérativement que le Parlement bruxellois le vote avant la fin 2025. Le rapport de l’agence Standard & Poor’s risque ce soir de mettre un coup de pression supplémentaire sur les négociateurs. L’expression, que les amateurs de football connaissent bien — « entrer dans le money time » — n’a, au-delà du jeu de mots, jamais été aussi appropriée.





