L’édito de Fabrice Grosfilley : ceci n’est pas une négociation

Ceci n’est pas une négociation. La Région bruxelloise, la région de René Magritte, pourrait bien inscrire cette phrase au frontispice du 69, rue du Lombard, l’adresse du Parlement bruxellois.

Ceci n’est pas une négociation. Malgré les apparences, malgré le mandat donné par les électeurs, malgré la participation aux débats de partis politiques — ces structures qui regroupent des citoyens partageant les mêmes idées dans le but d’influencer la prise de décision.

Ceci n’est pas une négociation. Malgré la dotation versée aux partis politiques, malgré les salaires perçus par les élus, malgré les nombreuses réunions, avec ou sans caméra de télévision, qui se sont succédées depuis le mois de juin.

Ceci n’est pas une négociation. Malgré dix mois de crise, une urgence budgétaire qui fait la une des gazettes, et des acteurs de la santé, du social, de la culture, qui, faute de visibilité financière, en viennent à renoncer à une partie de leur mission — comme l’organisation de campagnes de dépistage du cancer du sein.

Ceci n’est pas une négociation. Malgré les travaux à prévoir dans les tunnels ou le long du canal, malgré les décisions à prendre sur le prolongement ou non du métro 3, sur la construction ou non de logements sociaux, sur la création ou non de pistes cyclables, sur la lutte ou non en faveur de la qualité de l’air, sur le regroupement ou non des hôpitaux bruxellois, etc., etc.

Ceci n’est pas une négociation car depuis deux semaines, il ne se passe plus rien. Georges-Louis Bouchez et David Leisterh sont donc à la recherche d’un gouvernement minoritaire. Une formule qui n’impliquerait que deux partis côté francophone : le MR et Les Engagés. À laquelle on adosserait un attelage néerlandophone au sein duquel serait maintenue la N-VA.

La formule est tout de suite apparue bancale.  Un gouvernement minoritaire, c’est un gouvernement qui n’a pas de marge de manœuvre, qui n’est pas en mesure de faire voter un budget, qui n’a aucune garantie de pouvoir mener la politique qu’il souhaite. Plutôt qu’un gouvernement minoritaire, il s’agit donc d’un gouvernement majoritaire… mais minoritaire dans le collège francophone que les libéraux essaient de monter. Quitte à ce que cela se fasse en deux temps. Minoritaire au début, à moitié majoritaire ensuite.

Pour cela, il faut pouvoir compter sur le ralliement de députés qui ne sont pas encore ralliés au projet. Pour les votes du futur, mais aussi pour l’installation de ce gouvernement. 45 sièges au minimum. Pour l’instant, on en est loin. DéFI et Écolo ont dit clairement « non merci ». Le PS ne se fera pas hara-kiri en soutenant une formule qui se construit non pas sans lui, mais contre lui. Et le PTB ou la TEMA de Fouad Ahidar n’auraient aucun intérêt à mettre en selle une coalition de droite. Même parmi les partis néerlandophones pressentis, comme Groen ou Vooruit, on ne déborde pas d’enthousiasme.

Pour l’instant, ce n’est pas une négociation. Mais Georges-Louis Bouchez et David Leisterh font durer le suspense. Ils n’ont toujours pas renoncé à leur initiative et contactent les députés un par un, pour voir qui pourrait, au moment d’un éventuel vote, désobéir aux consignes de son état-major. Tant que la prise n’est pas débranchée, les contacts se poursuivent. Et comme ce n’est pas une négociation, il est difficile de conclure à l’échec de cette négociation.

Reste la question budgétaire.  Elle sera abordée ce matin en gouvernement bruxellois. Sven Gatz doit présenter un projet de budget pour la deuxième moitié de l’année 2024. Un projet qui ruait un peu d’ambition — et qui permettrait de sortir du principe des douzièmes provisoires. Quand on dit « un peu d’ambition », cela veut dire : débloquer l’une ou l’autre politique, mais aussi avoir le courage de faire des économies de manière à freiner l’endettement. C’est la négociation politique par excellence : celle qui consiste à définir des projets, à les hiérarchiser, à en financer certains, à en décaler d’autres (qu’on ne pourra payer que plus tard), et à en abandonner certains.

Sven Gatz doit venir avec ses pistes. Il faudra que les membres du gouvernement en affaires courantes approuvent, corrigent ou rejettent ce qui est sur la table. Mais comme ceci n’est plus une majorité, on ne voit pas pourquoi un ministre en affaires courantes, qui sait déjà qu’il ne sera pas dans la prochaine majorité, voudrait faire des efforts et renoncer à des lignes de crédits auxquelles il a droit dans le cadre des douzièmes provisoires. De même qu’on ne voit pas vraiment comment Sven Gatz ira chercher une majorité pour faire voter ce projet de budget. La gauche le trouvera trop à droite, la droite le trouvera trop à gauche.  Le ministre du Budget a hérité d’une mission kamikaze.

A moins d’un sursaut soudain de bonne volonté, ceci ne sera probablement pas un budget, ni même un demi-budget, contrairement à ce qui avait été annoncé. Il y a de fortes chances qu’on en revienne aux douzièmes provisoires.

Une fois cet intermède budgétaire passé, on reviendra à notre équation du début : comment construire une majorité, quand
– le PS ne veut pas de la N-VA,
– l’Open VLD exige la N-VA,
– le MR ne veut pas du PTB ni de Fouad Ahidar,
– Écolo préfère aller dans l’opposition,
et qu’on doit bien constater qu’en plus de toutes ces exclusives officiellement exprimées, le MR et le PS n’ont en réalité pas envie de gouverner ensemble, que Georges-Louis Bouchez et Ahmed Laaouej se toisent.

Ce n’est pas une négociation.
Et ceci n’est probablement pas un éditorial.
C’est l’expression d’une profonde exaspération.

BX1
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