L’édito de Fabrice Grosfilley : Anderlecht et le valet noir
Nous sommes en campagne électorale. Pour ceux qui en doutaient, l’épisode autour de l’autorisation du port du voile pour les fonctionnaires de la commune d’Anderlecht en est une parfaite illustration. Avec une majorité communale qui a éclaté en mille morceaux sur cette question sensible. Votes dispersés et débats homériques, le tout sous une forte pression d’une partie de la population.
Au final, la commune d’Anderlecht envisage donc bien d’autoriser le port des signes religieux pour l’ensemble de son personnel, y compris celui qui est en contact avec le public, à l’exception des fonctions d’autorité. En clair, une employée communale pourra porter le foulard, y compris au guichet du service population par exemple. Le (ou la) fonctionnaire sanctionnateur (sanctionnatrice), qui peut vous mettre une amende par exemple, ne le pourra pas (pour les chefs de service, la question reste à trancher). Ce règlement ne sera pas d’application immédiate. La motion adoptée hier prévoit en effet que c’est la Région bruxelloise qui “encadrera” sa mise en place. Il est également prévu de relancer des travaux préparatoires et de prévoir une formation du personnel. En clair : le vote d’hier est une décision de principe, mais aucune date d’application n’est prévue. Cette motion est passée avec les voix du PS, des Engagés, tous deux dans la majorité communale. Le texte a obtenu aussi le soutien du PTB, qui siège dans l’opposition.
Cette motion amendée n’a finalement pas eu le soutien d’Ecolo, qui a préféré s’abstenir. Les écologistes reprochent à ce texte final de ressembler à une mise au frigo, puisque le fait de repasser par la Région bruxelloise, offre à celle-ci un pouvoir de blocage. Et comme il n’y a pas de consensus au niveau régional, cela signifie que l’autorisation du port des signes religieux à Anderlecht ou ailleurs n’est pas pour tout de suite. On notera que Défi, membre de la majorité anderlechtoise a voté contre ce texte, tout comme la N-VA, y voyant une atteinte au principe de neutralité. Que le MR n’a pas participé au voté, les élus libéraux ayant boudé ce conseil communal, estimant que la sécurité des élus n’était plus assurée, ils avaient demandé le report de la réunion.
Mine de rien, cette séquence anderlechtoise est riche d’enseignements. On notera d’abord que PS et Ecolo sont de nouveau dans une logique de concurrence électorale exacerbée. Avec une motion déposée par un seul des deux partenaires de majorité, et une incapacité à aboutir à un texte commun malgré deux journées d’intenses tractations alors que les deux partis défendent en théorie des positions assez proches (même si Ecolo souhaite ouvrir le dispositif à tout le personnel sans exception, alors que le PS ne l’envisage pas pour toutes les fonctions). Cette concurrence profite aux deux partis : elle a l’avantage de couper l’herbe sous le pied du PTB puisque Ecolo et le PS se retrouvent dans la lumière médiatique et pourront se targuer d’avoir fait avancer ce dossier très sensible dans l’électorat du nord de Bruxelles. Ils auront des arguments pour dire qu’ils ne sont pas restés inactifs.
En réalité, entre PS et Ecolo, on a assisté à une partie de valet noir ces derniers jours. Ce jeu (aussi appelé valet puant) consiste à envoyer la mauvaise carte chez le joueur d’en face. Le PS peut reprocher à Ecolo d’avoir voulu aller trop vite et trop loin. Ecolo pourra reprocher au PS d’avoir encommissionné le dossier. La séquence éclaire aussi sur le positionnement laïc de Défi, à l’opposé de ses partenaires de gouvernement, sur cette question de neutralité dans les administrations. Elle est en revanche moins explicite sur la politique du Mouvement Réformateur. Les élus libéraux auraient probablement voté contre cette motion (c’est en tout cas ce qui se serait passé s’ils étaient cohérents avec les expressions de leur président de parti Georges-Louis Bouchez), mais leur absence au conseil ne permet pas de le confirmer avec certitude.
Si on prend un peu de hauteur, le fait de renvoyer la décision finale vers la Région, permet de gagner du temps à Anderlecht. Mais cela impose aux élus, quels que soient le parti et la commune auxquels ils appartiennent, de réfléchir au coup d’après. La motion d’hier renvoie le dossier à la Région. Il appartiendra donc à la majorité régionale, que ce soit celle de maintenant ou plus vraisemblablement celle d’après les élections, de prendre une décision. Les partis vont devoir se positionner clairement pendant la campagne, et probablement que certains s’en seraient volontiers passés. S’il n’y a pas de consensus, ce qui est probable, le dossier finira bien un jour par redescendre dans les communes. Ce sera peut-être à Anderlecht, ou à Molenbeek, ou à Schaerbeek, ou ailleurs. On peut évidemment préférer avoir une solution régionale et une seule et même ligne de conduite pour tout le monde. On peut aussi admettre que la sociologie et la réalité politique diffère d’une commune à l’autre. C’est ce qui s’est passé en Flandre, où Malines et Gand ont autorisé le port du foulard, alors que d’autres communes ne l’autorisent pas. Mais croire qu’on peut mettre la question sur le côté et ne jamais la régler, c’est se condamner à voir le débat revenir en permanence. Et on le dit à tous les élus qui nous écoutent ou nous lisent ce matin : ne jamais régler les questions sensibles ne favorise pas le vivre ensemble.