L’édito de Fabrice Gosfilley : malaise autour de la distribution des journaux
Dans son édito du lundi 4 décembre, Fabrice Grosfilley revient sur la distribution des journaux en Belgique.
Comment organiser la distribution des journaux ? Quand ces quotidiens ou magazines arrivent dans la boîte aux lettre de l’abonné ce n’est pas le journal en question qui s’en charge, jusqu’à présent cela faisait partie du travail des postiers (pour la majeure partie du territoire). Héritage du passé, quand la poste avait le monopole de la distribution du courrier mais aussi des colis et de la presse. Passé qui est aujourd’hui révolu, à l’exception du courrier, le reste à été ouvert à la concurrence, le monopole n’existe plus et la dématérialisation des échanges (le mail, le téléphone, les SMS et autres réseaux sociaux sont passés par là) ont porté un coup quasi-fatal à la poste de Papa. L’explosion de la vente par correspondance s’est accompagnée de l’essor des messageries privées. Et dans le même temps il faut aussi reconnaître que les journaux se vendent moins qu’avant. Le nombre d’abonnements est en baisse, les éditeurs insistent sur leur offre numérique, mais il n’empêche que recevoir son journal tôt le matin, de manière fiable et régulière reste évidement un enjeu crucial pour les entreprises de presse.
Depuis une dizaine de jours vous avez peut-être entendu parler de ce débat qui agitent les éditeurs de presse et le gouvernement fédéral, qui concerne l’attribution de ce marché de la distribution des journaux. Un appel d’offre a été lancé, et à la surprise générale ce n’est pas B-Post qui l’a remporté, mais l’entreprise PPP. PPP ici ne veut pas veut pas dire partenariat-public-privé mais “Presse, périodiques et publicité”, historiquement une société active dans la distribution des journaux en Région bruxelloise (activité qu’elle exerce depuis 1992). La société est également présente à Gand et Liège, et depuis 2017 elle s’est considérablement étendue, en prenant des marchés en Finlande, mais aussi à Lyon en France. PPP c’était donc un petit poucet du secteur que ses concurrent n’ont pas vu grandir. Un peu le David contre Goliath, mais dans un appel d’offre il n’est jamais exclu que ce soit David qui gagne.
PPP a donc battu B-Post, en remettant un prix nettement inférieur à celui de son gros concurrent. En toute logique c’est donc PPP qui devrait dans les prochaines années distribuer l’intégralité des journaux sur tout le territoire. Pour se faire, PPP a déjà annoncé qu’elle ferait alliance (et propose même de reprendre du personnel de B-Post). Ce qui ne rassure pas les entreprises de presse : avoir affaire à une cascade de sous-traitants, c’est le risque d’une dilution des responsabilités, avec des journaux qui arriveront en retard ou à la mauvaise adresse mais où ce sera toujours la faute de quelqu’un d’autre. Et ces éditeurs de pointer une situation à Bruxelles , où PPP distribue déjà les journaux, qui d’après eux ne serait pas optimale. On pointe notamment des journaux livrés avec retard et le recours à une main d’œuvre très mal payée. Des indépendants qui n’en sont pas, une forme de dumping social, dans un secteur, celui de la distribution qui pratique déjà des salaires planchers et où la protection sociale est parfois discutable. PPP a répondu par voie de communiqué en assurant que 97% des journaux sont distribués comme ils le doivent et en remettant la responsabilité des manquements sur le dos du plan Good Move.
Au delà du différend commercial, le débat social est un argument dont gouvernement fédéral ne peut pas se désintéresser. Parce que c’est bien le gouvernement fédéral, et non les entreprises de presse qui attribue le marché. Et le problème numéro 1 du gouvernement c’est que voir ce marché échapper à B-post (entreprise privatisée mais qui reste l’acteur historique du secteur), est le probable préambule à une nouvelle vague de licenciement. “Un bain de sang social” craignent les syndicats. Une crainte suffisamment forte pour qu’au sein de la majorité on estime qu’il faille “sauver le soldat b-post”.
Si poltiquement le dossier est sensible, juridiquement il est explosif. Un appel d’offre de ce niveau répond à des règles européennes. Renoncer à attribuer le marché à l’entreprise gagnante n’est pas possible, ou en tout cas pas simple (il est possible de l’annuler, pas de changer le nom du gagnant), avec le risque de se retrouver en justice et d’avoir des dommages et intérêts à payer. Cela éclaire aussi sur la nature incestueuse de ce marché et des aides à la presse qui ne disent pas leur nom. Depuis longtemps la presse bénéficie de conditions particulièrement favorables pour distribuer ses journaux. Une sorte d’aide d’État à peine déguisée. Un coup de pouce à la diffusion de l’information parce qu’on estime (à raison) que ce n’est pas un bien comme les autres. Un citoyen bien informé est un électeur éclairé. Aider à la diffusion des journaux n’est pas la même chose que de livrer un colis avec des babioles fabriquées en chine.
Au gouvernement fédéral, on cherche donc la parade. Ne pas attribuer le marché et le remplacer par un nouvel incitant fiscal en faveur de éditeurs par exemple. Nous, on notera quand même un paradoxe. Celui qui serait de maintenir sous perfusion un système de distribution qui a été dépassé par les avantages de la numérisation, dont profitent amplement les entreprises pour réduire leur coût et toucher de nouveaux publics. On peut voir par ailleurs ces éditeurs de presse casser leurs tirelires pour acquérir des chaînes de télévision, racheter des journaux, se diversifier dans d’autres activités. Des acquisitions qui ne s’accompagnent pas toujours d’un réel gain qualitatif en matière d’ information (la tendance est d’employer de moins en moins de journalistes) mais qui, en toute logique, devraient aider à consolider les comptes de ces entreprises (qui bénéficient par ailleurs d’aide à la création ou de prêts des pouvoirs publics quand elles investissent dans l’audiovisuel). S’il s’agit réellement de préserver la qualité de l’information, il serait plus vertueux d’aider le secteur à maintenir des emplois de journalistes correctement rémunérés. Il y-a sans doute une certaine ironie à appeler l’État à intervenir pour protéger la distribution de ses propres journaux, alors qu’à longueur de colonnes, les mêmes quotidiens nous expliquent que pour le bien être de l’économie et du budget fédéral, quand cela ne les concerne pas, il faudrait que l’intervention des pouvoirs publics se limite au strict minimum.
Fabrice Grosfilley