L’école 2.0 boostée par le confinement… mais pas pour tout le monde

Enseigner à l’heure du confinement. Un défi pour les directions d’école, les professeurs, les élèves. Alors face à l’impossibilité physique de faire classe, les acteurs de l’enseignement se tournent massivement vers le numérique. Effet bénéfique : la pédagogie 2.0 a beaucoup à y gagner. Effet négatif: les inégalités scolaires pourraient se renforcer. 

Le numérique existait dans les écoles bien avant l’arrivée du Coronavirus. Sous la forme, entre autres, de plateformes pédagogiques. Mais il était largement sous-utilisé. “Cette crise va permettre à beaucoup de faire un saut et de s’inscrire clairement dans le numérique. C’est ce qui est en train de se passer dans nombre d’établissements.”, dit Conrad van de Werve, porte-parole du Segec (Enseignement catholique). Surtout dans le secondaire. Un chiffre ? L’enseignement secondaire de la Ville de Bruxelles, par exemple, compte aujourd’hui 8800 utilisateurs (élèves et enseignants) de plateformes pédagogiques. Ils étaient 2700 avant le confinement, nous indique Patrick Danau. Cet inspecteur en charge du numérique dans les écoles de la Ville de Bruxelles est en contact quasi quotidien avec les établissements pour répondre à leurs demandes, de plus en plus nombreuses, d’aides et de formations à ces nouveaux outils.

Pierre Laoureux, conseiller techno-pédagogique au Segec, est lui aussi constamment sollicité ces derniers jours dans le secondaire pour former à l’utilisation des plateformes d’enseignement. “Aujourd’hui, les écoles n’ont tout simplement plus le choix. L’outil est appelé à se développer inexorablement. Et les enseignants à se former.”, confirme-t-il. En 2015, 40% des écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles étaient équipées d’une plateforme de communication et de travail en ligne. “On tourne désormais autour de 60-70%.“, estime-t-il. “Il y a une prise de conscience que ces outils, que l’on avait tendance à négliger, sont utiles et les acteurs de l’enseignements sont en train d’acquérir des compétences qu’ils n’avaient pas auparavant. Il va y avoir un bond qualitatif dans l’utilisation de ces plateformes. “, analyse encore cet expert. Mais il faudra que les connectivités suivent, poursuit-il. Selon lui, l’une des raisons majeures de la sous-utilisation du numérique dans les classes ce sont les mauvaises connexions internet : “Installer un réseau dans une école n’est pas facile et coûte très cher.”

L’école en confinement : pas de nouveaux apprentissages

Dans le primaire, certaines écoles sont très avancées sur le plan technologique, d’autres le sont moins, observent Faouzia Hariche (PS), échevine de l’Instruction publique à la Ville de Bruxelles. Les uns proposent aux enfants des exercices, des dossiers de révision, accessibles via des plateformes, les autres s’en tiennent à la communication par mail. Mais à tout le moins le contact est maintenu. Dans le secondaire, en général tous les élèves ont un identifiant et ont ainsi accès à des plateforme d’enseignement comme “Teams”. Au risque de marginaliser totalement ceux qui ne disposent pas d’un ordinateur en bon état de fonctionnement ? “Les professeurs sont attentifs aux élèves sans matériel informatique et prévoient également d’envoyer tous les documents par la poste à ceux qui ne sont pas outillés.”, répond Faouzia Hariche. “Nous pensons aussi à des solutions comme le prêt des ordinateurs déclassés de l’administration. Ceux-ci ne conviennent plus à une gestion à l’échelle de l’administration après cinq ans, mais sont encore en parfait état de service.”, ajoute Patrick Danau.

Quoiqu’il en soit, les travaux proposés ne peuvent en aucun cas porter sur de nouveaux apprentissages, insisite Faouzia Hariche, ainsi que le prévoit la circulaire diffusée à ce sujet par la ministre de l’Education de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Caroline Désir (PS). Pas de nouvelles matières, mais aussi “des travaux proportionnés dans le contenu et dans le temps à y consacrer, en tenant compte de l’absence d’accompagnement pédagogique des élèves (…) Le travail doit pouvoir être effectué en parfaite autonomie (…).” Le texte vise aussi l’usage du numérique : “Si l’enseignant recours à des modalités d’apprentissage en ligne, il doit impérativement s’assurer que chaque élève du groupe-classe dispose du matériel et du soutien pour s’y consacrer dans des conditions optimales. (…).” Quant aux travaux effectués à domicile, ils “ne peuvent faire l’objet d’une évolution sommative (i.e. certificative, NDLR) mais bien formative.” Pour Pierre Laoureux, la fracture numérique ne concerne plus tant aujourd’hui le matériel à disposition que la capacité de l’élève à utiliser et manipuler certains programmes. Mais s’il y a là un enjeu essentiel, c’est loin d’être le seul.

Des inégalités qui risquent de se creuser

Sur le terrain, beaucoup s’inquiètent des conséquences en terme d’inégalités scolaires que ces nouvelles habitudes, imposées par le confinement, risquent de générer. “Il y a une double problématique : celle du travail à domicile, renforcée par le confinement.”, explique Maxime Michiels, chargé d’étude à la Ligue des familles. Celui-ci craint les effets d’un “abus” du travail à domicile : l’association, très critique à l’égard du principe des devoirs à la maison, milite pour l’intégration du travail scolaire au sein de l’école précisément pour limiter les inégalités sociales et culturelles. La période actuelle ne peut donc que les creuser. Les familles plus précaires n’ont pas les outils informatiques, ordinateurs, mais aussi imprimantes, ni l’espace pour répondre aux demandes des écoles. On remarque aussi, dit Maxime Michiels, que les inégalités de disponibilité des parents recoupent aussi les inégalités sociales. Quant à la circulaire de la ministre Caroline Désir “elle serait de nature à me rassurer si elle était appliquée à la lettre. Mais il y a de vraies inquiétudes à cet égard : certaines familles parlent de plusieurs heures de travail par jour demandés par les enseignants. ” Même crainte du côté de Fred Mawet, secrétaire générale de CGé (Changement pour l’égalité), qui s’inquiète aussi des difficultés rencontrées par les familles de la classe moyenne, pour combiner le télétravail et la gestion des travaux scolaires. “C’est une grande souffrance, qui nous revient des familles.”, conclut Maxime Michiels. La Ligue des Familles a en effet lancé sur son site un sondage à l’attention des parents pour leur permettre de s’exprimer sur leur vie confinée et réfléchir aux mécanismes à mettre en place pour les aider.

Sabine Ringelheim – Photo : Belga 

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