Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (19 mai) : “Demain commence peut-être le premier jour du reste de notre vie”
Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.
Petit à petit le temps reprend son cours. Et ce n’était finalement pas si long pour que les habitudes nous rattrapent. Les magasins ont rouvert début de semaine, les écoles, même si elles avouent être un peu prises de cours, accueilleront certaines classes ce lundi 18, le quotidien retrouve son rythme de croisière. La plupart de nos centres et des structures hôtelières aménagés durant la crise tournent, les tests du personnel sont quasiment terminés, tout comme ceux de nos bénéficiaires (exceptés ceux de certains centres) l’ensemble des discussions se concentrent maintenant sur l’après. Sans doute parce que nous n’avons pas eu le temps d’y penser avant. Le quotidien revient au galop, comme une vague, avec ses dossiers de fonds, ses questions de stratégie organisationnelle, ses analyses budgétaires. Tous les dossiers qui avaient été mis au frigo les 2 derniers mois sont en processus de décongélation. Le matin au bureau, j’ai l’impression d’être chez Picard. Et au plus les dossiers décongèlent et fondent, au plus je les confonds. Au moment où l’on espérait pouvoir récupérer des efforts produits, la déferlante des différents projets oubliés pendant deux mois a donc ressurgi. La baisse d’adrénaline et le retour à un rythme équilibré laisse apparaître une certaine lassitude sur les visages. Avec en toile de fond cette question, est-on déjà en train de retourner à la vie d’avant ?
On est au 41ème kilomètre du marathon, on voit se dessiner une ligne d’arrivée. Mais comme toutes les autres, elle n’annonce finalement qu’un nouveau départ pour une autre course. Cela donne l’impression qu’on nage en plein marathon des sables, cette course marocaine où chaque jour, il faut enchaîner sur un nouveau marathon qui sera suivi par un autre, le lendemain. Demain, commence peut-être le premier jour du reste de notre vie. « Rester debout mais à quel prix, Sacrifier son instinct et ses envies, les plus confidentielles, mais tout peut changer aujourd’hui. Et le premier jour du reste de ta vie. C’est providentiel », chantait Daho.
Ce sera la dernière page de ce carnet de bord. On s’est d’ailleurs souvent demandés si rédiger un carnet de bord est le rôle d’un Directeur d’une asbl ? Rédiger en temps de crise, sans prendre le temps du recul, est quelque part contradictoire avec le rôle qu’est censé jouer un directeur. Tout au long de l’exercice, conscient de ce risque, nous avons toujours essayé d’équilibrer le propos, d’éviter les pièges des critiques faciles ou de simplification de la vérité, tout en essayant de souligner la complexité de nos doutes, d’expliquer les réflexions humaines que provoquait cette crise et d’informer sur la difficulté à trouver les réponses adéquates. Le tout en mettant en avant la mobilisation et l’engagement des collaborateurs du Samusocial.
On s’est aussi beaucoup interrogés en interne sur le fait de savoir si rédiger, puis publier de tels textes, n’allait pas desservir le Samusocial ou ruiner le peu de crédibilité que nous essayons de construire. La théorie enseigne souvent à un Directeur de ne pas exprimer ses doutes et ses échecs. Mais les deux derniers mois ne nous ont-ils pas montrés que beaucoup de théories sont amenées à évoluer? A force de discussion, nous avons donc considéré que ces chroniques traduisaient bien la valeur de transparence et d’humilité que nous essayons d’incarner au travers du New Samusocial. Elles révélaient aussi notre volonté de travailler avec d’autres acteurs, en allant chercher les compétences là où elles se trouvent. Ce qui implique de mettre aussi en avant les autres. Même si l’exercice avait un côté inédit qui présentait certains risques, nous avons considéré qu’il était intéressant de consigner la manière dont nous avions donc géré l’évolution de la crise.
Lorsque tout a commencé il y a 2 mois, assistant à la mobilisation exemplaire des équipes du Samusocial, nous nous étions dit que cette crise était l’occasion d’expliquer l’ensemble des activités de notre organisation. Nous nous étions dit que cette pandémie était une occasion pour le Samusocial de démontrer son importance dans le paysage socio-sanitaire bruxellois. Tout comme, nous avions pensé qu’il était important d’expliquer toutes les questions qui traversent une organisation comme la nôtre, qui est en première ligne mais dont les bénéficiaires n’avaient originellement pas été prévus dans la logique du confinement.
Et s’il y a bien une chose sur laquelle tout le monde s’accorde aujourd’hui, c’est que cette crise amène bien plus de bonnes questions que de bonnes réponses.
► Retrouvez l’ensemble des journaux de bord de Sébastien du Samusocial dans notre dossier.
Photo : Kristof Vadino/Samusocial