Le fonds blouses blanches: environ 70 millions d’euros par an pour les structures bruxelloises
La Chambre a approuvé ce jeudi en séance plénière la proposition de loi qui organise l’affectation du fonds blouses blanches. Sur base annuelle, ce fonds de 400 millions d’euros doit permettre d’améliorer les conditions de travail dans le secteur infirmier.
Un groupe de travail présidé par le député Marc Goblet (PS) s’était accordé mardi sur la façon de répartir les 67 millions d’euros prévus encore pour les mois de novembre et décembre 2019: 59 millions passeront par le Fonds Maribel social pour le personnel infirmier salarié du secteur hospitalier et à domicile et 8 millions bénéficieront au personnel indépendant des mêmes secteurs. En année pleine, ce fonds doit être financé à hauteur de 400 millions d’euros.
Les différents partis se sont engagés à garantir les 100 millions d’euros du premier trimestre 2020 et à pérenniser ce fonds dans le cadre des négociations gouvernementales. “Au niveau des chiffres, c’est bien clair. Cela fera 400 millions d’euros au total par année. Mais comme on travaille par 12e provisoire, on ne peut actuellement que revoter le crédit tous les trois mois jusqu’à ce qu’on ait un gouvernement”, explique Marc Goblet.
Une victoire pour le mouvement blouses blanches
Il s’agit incontestablement d’une victoire pour le mouvement de protestation du même nom que le fonds. Lancé en juin dernier à l’initiative de la CNE, celui-ci entendait protester contre les conditions de travail du personnel soignant. Le secteur critiquait entre autres l’intensification du travail, la déshumanisation, une surcharge administrative, la pénurie de personnel infirmier, ou encore le durcissement dispositifs de fin de carrière. Il s’agit aussi d’une belle surprise, reconnaît Evelyne Magerat, permanente à la CNE. Celle-ci explique que le mouvement s’attendait certes à être entendu, mais pas si rapidement, ni que les partis votent une proposition de loi à l’unanimité.
Ni peut-être avec un tel budget. Pour l’administrateur-délégué du réseau d’hôpitaux publics bruxellois Iris, Etienne Wéry, on peut en tout cas parler d’une bouffée d’oxygène. “Un tiers des hôpitaux est aujourd’hui dans le rouge et on a quand même eu un mouvement social important dans toutes nos structures autour de la pénibilité, du stress, des tensions dans la fonction infirmière essentiellement à cause des économies du passé. Le mode de financement nous amène à ne pas remplacer certaines maladies et certains départs, à limiter certaines prestations tout simplement car on n’a plus les moyens”, explique-t-il.
Peu d’embauches d’infirmiers attendus
Les 400 millions d’euros vont quand même être dépensés par les différents employeurs du secteur. Et de manière à soulager les professionnels en soins infirmiers. Comment? En recrutant d’autres types de professionnels dont le travail permettra d’alléger ou faciliter celui des infirmiers. “Ce sera sans doute en grande partie du personnel d’aide logistique, d’aide-soignant ou administratif pour décharger le personnel infirmier de certaines tâches. Cela peut déjà être une bonne nouvelle”, explique l’administrateur-délégué d’Iris.
Même son de cloche du côté de la CNE. “C’est bien pour ça que j’ai eu jusqu’au bout des contacts avec des groupes politiques pour leur dire: ‘Surtout n’écrivez pas dans cette loi que c’est pour engager uniquement des infirmiers. Cela n’aurait aucun sens. Ou bien vous organisez la traite d’infirmières venant de Roumanie, etc’. Ce sera la concertation locale qui déterminera chaque fois les unités où c’est le plus utile, les endroits où on peut améliorer la situation en termes de soutien logistique, administratif, technique, d’aide-soignants, etc. Cela peut aussi être augmenter le temps de travail du personnel en place”, explique Yves Hellendorff, secrétaire national de la CNE pour le secteur non marchand.
Une clé de répartition entre hôpitaux
La répartition de cette manne financière inattendue ne fera pas sur une clé de répartition entre les trois régions. Elle se fera entre les différentes structures au prorata de leur nombre total d’équivalents temps plein (ETP). “Il n’y a pas ici une vision spécifique bruxellois globale. C’est un fond fédéral qui va fonctionner institution par institution, sans être attentif a ce que ce soit Bruxelles ou la Wallonie. J’anticipe un peu la discussion qu’on va avoir dans le fonds social avec les employeurs, mais il y a neuf chances sur dix qu’on soit dans une logique de droit de tirage financier”, indique Yves Hellendorff.
“Chaque institution aura droit à un certain montant. Imaginons par exemple qu’un hôpital à Bruxelles emploie 1.000 travailleurs et qu’il y en a 100.000 dans les hôpitaux en Belgique. Et bien, il y a un pourcent de l’enveloppe qui ira à celui-ci. Cette somme sera répartie selon ce principe entre hôpitaux privés et publics, mais aussi les structures d’aide et de soins à domicile”, complète-t-il. Une somme dont l’utilisation précise sera chaque fois décidée au sein des commissions paritaires. En d’autres termes, syndicats et patrons se mettront autour de la table pour évaluer les besoins spécifiques au sein de leur structure.
Environ 20% du budget annuel pour Bruxelles
Pour connaître le pourcentage des 400 millions destiné aux structures bruxelloises, flamandes et wallonnes, il faut connaître le nombre total d’équivalents temps plein dans le secteur des soins, puis ensuite les chiffres de chacune des trois régions. Lesquels doivent concerner à la fois les hôpitaux publics et privés, mais aussi les structures de soins à domicile comme par exemple la CSD Bruxelles et l’ASBL Arémis. Au final, un peu moins d’un cinquième des 400 millions du Fonds Blouses blanches devrait ainsi revenir à des structures bruxelloises.
Comment arriver à cette proportion? Si BX1 n’a pas obtenu le nombre d’ETP pour le secteur public, les chiffres du secteur privé sont connus. Les hôpitaux employaient, fin 2018, 18.203 ETP (17%) à Bruxelles, 24.561 ETP en Wallonie (23%) et 63.484 ETP en Flandre (60%). Au sein des structures de soins à domicile, les effectifs sont de 312 ETP à Bruxelles, 1.902 en Wallonie et 6.239 en Flandre. Autant de chiffres livrés par la FeBi, une organisation qui regroupe plusieurs fonds Maribel fédéraux et bruxellois actifs au sein du secteur non-marchand.
Or le nombre de travailleurs dans les hôpitaux publics est inférieur à celui de leurs homologues du privé, explique Evelyne Magerat, permanente à la CNE. Le réseau public Iris représente ainsi entre 5 et 6.000 ETP. Il n’est donc pas possible que les effectifs des hôpitaux publics inversent la tendance actuelle: 17% à Bruxelles, 23% en Wallonie et 60% en Flandre. Un ajustement à la marge est possible, d’où l’estimation globale d’environ 20%. Ce qui signifie au total environ 70 millions d’euros pour les structures de soins de la capitale.
Certains services plus en difficulté que d’autres
Pour le vice-président de l’Association belge des praticiens de l’art infirmier, Edgard Peters, les services de soins plus généralistes sont ceux où le manque d’infirmiers se fait le ressentir le plus durement. “Cette somme est évidemment la bienvenue, mais ce qu’il faudrait idéalement, c’est changer la norme d’encadrement. C’est-à-dire le nombre d’infirmiers prévu par patients. Pour certains services spécialisés, il n’y a pas trop de problème, mais la question se pose surtout pour les services plus généralistes”, explique-t-il. “Je pense notamment à la chirurgie générale, la gériatrie générale et la médecine générale. C’est ces services que ce fonds va pouvoir notamment soulager”.
J. Th. – Photo: Belga/Dirk Waem