L’interdiction d’abattage d’animaux sans étourdissement confirmée par la CJUE : “Cela relancera le débat à Bruxelles”

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a donné raison jeudi aux Régions flamande et wallonne qui ont interdit, en 2017, l’abattage d’animaux sans étourdissement préalable, ce que contestaient des associations juives et musulmanes. Une décision qui risque de relancer le débat autour de cette question en Région bruxelloise.

“Afin de promouvoir le bien-être animal dans le cadre de l’abattage rituel, les États membres peuvent, sans méconnaître les droits fondamentaux consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, imposer un procédé d’étourdissement réversible et insusceptible d’entraîner la mort de l’animal”, a affirmé la Cour dans un communiqué publié après son arrêt rendu ce jeudi.

Ce faisant, les juges de Luxembourg sont allés à l’encontre de l’avis de l’avocat général qui, le 10 septembre dernier, avait considéré qu’interdire l’abattage d’animaux sans étourdissement, y compris pour les méthodes particulières d’abattage prescrites par des rites religieux, n’était pas autorisé par le droit de l’Union européenne. L’arrêt porte sur le décret flamand, à la suite d’une question préjudicielle posée à la CJUE par la Cour constitutionnelle belge, mais la Région wallonne, qui a adopté un décret similaire, s’était jointe à l’affaire.

“Un consensus scientifique s’est formé”

La Cour reconnaît qu’en imposant, dans le cadre d’un abattage rituel, un étourdissement réversible, contrairement aux préceptes religieux des croyants juifs et musulmans, le décret flamand contesté limite l’exercice du droit à la liberté de ces croyants de manifester leur religion. Mais à ses yeux, les mesures que comporte le décret permettent d’assurer “un juste équilibre” entre l’importance attachée au bien-être animal et la liberté de religion.

Outre la marge d’appréciation laissée en la matière aux États membres, la Cour s’en réfère à la science : “un consensus scientifique s’est formé quant au fait que l’étourdissement préalable constitue le moyen optimal pour réduire la souffrance de l’animal au moment de sa mise à mort.” La Cour constate que le législateur flamand s’est fondé sur des recherches scientifiques et qu’il a privilégié la méthode de mise à mort autorisée la plus moderne. Les juges, réunis pour l’occasion en grande chambre, évoquent aussi l’évolution du contexte sociétal et normatif, et “une sensibilisation croissante à la problématique du bien-être animal.

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La chasse pas comparable à l’abattage

Enfin, la Cour constate que le décret n’interdit pas aux communautés religieuses de se procurer des produits provenant d’animaux qui ont été abattus rituellement en provenance d’un autre État membre ou d’un État hors Union Européenne.

Quid alors des activités de chasse et de pêche récréatives, pour lesquelles l’étourdissement préalable n’est pas possible, avaient fait observer les communautés religieuses ? Ce n’est pas comparable à de l’abattage, répond la Cour en substance, car ces activités aboutissent, tout au plus, à une production marginale de viande qui n’est pas significative au plan économique. Ces activités ne sauraient donc raisonnablement être appréhendées comme de la production de denrées alimentaires, ce qui justifie qu’elles soient traitées d’une manière différente par rapport à une opération d’abattage. “Ces activités se déroulent dans un contexte où les conditions de mise à mort sont très différentes de celles des animaux d’élevage”, dit la Cour.

Suite à cet arrête de la Cour de Justice de l’Union Européenne la Cour constitutionnelle belge doit désormais rendre une décision quant à ces décrets flamand et wallon.

Et en Région bruxelloise ?

En Région bruxelloise, le débat autour de cette interdiction dure également depuis plusieurs années. Aucun consensus n’a toutefois été trouvé à ce jour.

Suite à cet arrêt européen, le ministre bruxellois du Bien-être animal Bernard Clerfayt (DéFI) rappelle que “la déclaration de politique régionale n’engage pas les partenaires de la majorité dans l’une ou l’autre direction. Toute évolution dans ce dossier requerra de discuter sereinement avec toutes les parties concernées afin de dégager un juste équilibre entre le bien-être animal et la liberté de culte”. Le débat risque donc encore de durer.

Gaia ravi, le CCOJB dénonce un “déni de démocratie”

De son côté, l’association de défense des animaux Gaia se félicite de cette décision européenne : “Nous sommes, bien sûr, plus qu’optimistes pour la suite car la Cour constitutionnelle (belge) n’a normalement pas d’autre choix  que de suivre l’arrêt de la CJUE. Nous avons toujours soutenu que l’interdiction flamande ainsi que l’interdiction wallonne sont nécessaires pour prévenir les souffrances extrêmes inutiles et évitables des animaux”, estime le président de Gaia Michel Vandenbosch. “L’interdiction garantit que nous vivons dans une société qui ne confond pas la liberté de religion avec la liberté de faire du mal aux animaux”.

Le CCOJB, le Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique, affirme pour sa part que cet arrêt européen “est un déni de démocratie”. Yohan Benizri, président du CCOJB, s’explique : “La démocratie se mesure d’abord et avant tout par le respect qu’elle accorde aux minorités. Le combat continue, et nous ne nous avouerons pas vaincus avant d’avoir épuisé tous nos recours légaux, ce qui n’est pas encore le cas”.

“Définir notre pratique religieuse est absurde”

“Nous sommes tous bien conscients du précédent que cela crée et qui remet en question nos droits de pratiquer notre religion”, a déclaré le président de la Conférence des rabbins européens (CER), Pinchas Goldschmidt, à l’agence Belga. “La Cour a le droit de statuer que les États membres peuvent ou non accepter des dérogations à la loi, mais définir la shechita (l’abattage rituel juif, codifié par la Tora, ndlr), notre pratique religieuse, est absurde”, a-t-il ajouté.

“Les dirigeants européens nous disent qu’ils souhaitent que les communautés juives vivent et réussissent en Europe, mais ils n’offrent aucune garantie à notre mode de vie. L’Europe doit réfléchir au type de continent qu’elle veut être. Si des valeurs telles que la liberté religieuse et la vraie diversité en font partie intégrante, le système juridique actuel ne le reflète pas et il doit être revu en urgence”, a poursuivi celui qui est également le grand rabbin de Moscou.

Il a toutefois assuré que la Conférence des rabbins européens continuerait à travailler avec les représentants de la communauté juive belge “pour offrir notre soutien de toutes les manières et rendre hommage au travail qu’ils ont accompli au cours des trois dernières années pour renverser cette interdiction” d’abattage sans étourdissement.

L’Exécutif des musulmans en appelle aux traditions constitutionnelles belges

L’Exécutif des musulmans de Belgique s’est dit grandement déçu de l’arrêt rendu ce jeudi par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). L’Exécutif place dès lors ses espoirs dans “nos propres traditions constitutionnelles belges, qui offrent une protection plus large que les constitutions de nombreux autres États membres”.

Dans un communiqué, Mehmet Üstün, président du bureau de l’Exécutif des musulmans de Belgique, constate que l’arrêt de la Cour européenne contredit diamétralement l’avis de l’avocat général, pour qui l’interdiction touche “un aspect essentiel” d’une pratique religieuse séculaire de la foi musulmane et juive. “La Cour de justice semble ainsi céder à la pression politique et sociétale grandissante des mouvements populistes qui mènent une lutte symbolique contre les minorités vulnérables dans toute l’Europe”, affirme-t-il. L’Exécutif assure que les techniques actuelles d’abattage religieux “sont parfaitement compatibles avec les exigences de protection de la santé publique, de sécurité alimentaire et de bien-être animal”.

“L’obligation d’étourdir n’est par contre rien d’autre qu’une mesure symbolique émotionnelle, dont le seul but est d’apaiser la conscience du consommateur modal au détriment des minorités religieuses et de dissimuler la réalité selon laquelle les animaux sont élevés comme objets de consommation dans des méga-étables industrielles”, commente encore l’organe.

Gr.I. avec Belga – Photo : Belga