Justice : un plan d’action ambitieux, à condition qu’il tienne ses promesses

Engagement de 116 magistrats à partir de 2022, lancement de la numérisation, amélioration de l’accès à l’aide juridique : le ministre Vincent Van Quickenborne (Open VLD) veut requinquer la justice, qui souffre depuis des années d’un sous-investissement chronique. Baptisé « Un nouveau départ pour la justice », le plan brasse permettra-t-il de lui rendre des couleurs ?

Du recrutement de personnel à la question de l’exécution des peines et de la détention en passant par l’aide juridique, le plan Justice brasse large. Voici un passage en revue, commenté par les premiers intéressés, de quelques éléments saillants.

Objectif premier du plan : renforcer les effectifs de la justice. Le budget actuel de la justice est de deux milliards d’euro. Le ministre de la Justice promet un demi-milliard d’ici 2024 pour le renforcement des effectifs.

L’arriéré judiciaire dans le viseur

Le ministre s’engage à s’attaquer à l’arriéré judiciaire. Pour ce faire, il annonce un renfort d’effectif : 1 401 personnes en plus travailleront pour la justice d’ici 2022, dont 827 personnes seront affectées à l’ordre judiciaire (le reste le sera aux prisons, à la Sûreté de l’État et au SPF Justice). Parmi elles, 116 magistrats, à répartir entre les différents arrondissements du pays. Le mode de répartition n’est pas encore fixé mais une attention particulière a néanmoins été portée à Bruxelles. Il faut dire que la situation y est particulièrement critique, notamment à la Cour d’appel où 15 000 dossiers sont en souffrance. 15 personnes supplémentaires ont été recrutées, indique le document du ministre.

Et compte tenu des affaires exceptionnelles et complexes provenant notamment du parquet fédéral que les tribunaux bruxellois ont à traiter, 35 personnes seront engagées pour faire baisser la pression pesant sur les tribunaux de la capitale. Budget : 3,3 millions d’euros. Le tribunal de l’entreprise et du travail sont eux aussi soutenus, en prévision du surcroît de dossier découlant de la crise sanitaire qu’ils devraient avoir à traiter.

Un budget séparé servira à financer le personnel supplémentaire nécessaire pour mener le procès des attaques du 22 mars.

“Il faut maintenant commencer les recrutements”

Pascale Monteiro, la magistrate de presse du Tribunal de première instance de Bruxelles, reconnaît le caractère ambitieux du plan : « C’est une ambition nouvelle et elle est vitale pour la justice. » Encore faut-il qu’il soit suivi d’effet. Car les besoins sont immenses. Pascale Monteiro rappelle les nécessités bruxelloises de sa juridiction : sur un cadre de 126 magistrats, 103 sont effectivement engagés, avec des contentieux qui explosent. « Nous sommes en sous-effectifs chroniques, malgré les efforts de notre présidente pour faire en sorte que le cadre soit rempli. Mais les délais d’engagement sont importants. » De fait, les nouveaux engagés ne seront pas là avant 2022. La référence au personnel nécessaire dans le cadre du procès terrorisme est également appréciée. Il faudra prévoir quatre magistrats, signale Pascale Monteiro.

« Une très bonne nouvelle », commente le bâtonnier de l’ordre français des avocats du barreau de Bruxelles, Maurice Krings « à condition, bien sûr, que ce plan ne soit pas qu’un effet d’annonceMais pour l’essentiel, il répond à pas mal de problèmes que nous connaissons depuis longtemps. » Le bâtonnier y voit aussi un signal positif : « Une reconnaissance, enfin, de l’existence d’un déficit structurel de personnel, réelle cause de l’arriéré judiciaire que certains attribuent à tort à un manque d’organisation des magistrats. » Seule réserve du patron des avocats bruxellois : le statut particulier de Bruxelles comme capitale, avec des besoins spécifiques en termes de personnel, sera-t-il pris en compte ?

Enthousiasme aussi du côté des du Collège des cours et tribunaux. Sa présidente, Fabienne Bayard, était d’ailleurs présente aux côtés du ministre hier, lors de la présentation du plan à la presse. Elle salue les budgets annoncés – « Nous avons plutôt connu des périodes de restrictions, que d’investissements » – et le plan d’action volontariste proposé pour travailler sur l’arriéré judiciaire, notamment à la cour d’appel de Bruxelles. « Il faut maintenant commencer les recrutements », insiste Fabienne Bayard, qui rappelle qu’il faudra attendre 2022 avant de voir arriver les renforts, pour peu, en outre, que les candidats se manifestent : « L’attractivité de la profession reste un vrai problème, que ce soit pour les magistrats ou le personnel des greffes. Certes on travaille à rendre le métier plus attractif, mais cela suffira-t-il pour créer des vocations ? », interroge-t-elle. À cet égard, le ministre en est conscient. Des budgets sont prévus pour renforcer le recrutement.

La numérisation : “On part de nulle part !”

Autre monstre du Loch Ness judiciaire : l’informatisation et la numérisation de la justice. Le chantier est colossal. Le personnel, à tous les niveaux, réclame depuis plusieurs décennies des équipements dignes du XXIe siècle « La justice dans notre pays a complètement raté le train de la numérisation », reconnaît la note du ministre de la Justice.

Celle-ci annonce un plan en cinq étapes pour redresser la barre, soutenu par un budget de 137 millions d’euros issus du Fonds européen de relance, et répartis sur la période 2021-2026. Avec pour commencer la livraison d’ordinateurs portables : 18 000 à l’échelle du pays d’ici la fin 2022. Indispensable, réagit Maurice Krings : « Une conseillère à la cour d’appel me racontait cette semaine encore qu’elle était obligée de rédiger ses dossiers chez elle tant le matériel informatique du Palais était peu fonctionnel », rapporte Maurice Krings.

L’aide juridique refinancée

Depuis juillet 2020, les plafonds de revenus donnant accès à l’aide juridique (le recours à un avocat pro deo) augmentent progressivement. Ils ont été relevés de 200 euros l’an dernier, ils le seront encore de 100 euros par an dans les trois ans à venir.

Concrètement, jusqu’au 1er septembre 2020, une personne isolée avec trois enfants à charge ne pouvait bénéficier d’une aide juridique totalement gratuite que si ses revenus mensuels ne dépassaient pas 1 900 euros, explique Sophie Berger, la présidente du bureau d’aide juridique de Bruxelles. Dès septembre 2023, à situation égale, le revenu mensuel pourra atteindre 2 590 euros.

L’accès à l’aide juridique sera grandement amélioré. Mais le financement de la mesure n’étant pas encore assuré. Or selon les projections de la cour des comptes, le nombre de personnes pouvant bénéficier de l’aide juridique aura alors plus que doublé, passant d’1,5 million à 3,5 millions, d’ici 2023, si l’on suit la progression annoncée. Un montant de 209 millions d’euros sera débloqué en 2024 pour financer la mesure. Une bonne nouvelle, réagit Sophie Berger. L’avocate observe que la note du ministre semble rencontrer l’avis de la cour des comptes.

S.R. – Photo : Belga 

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17 juin 2021 - 18h30
Modifié le 18 juin 2021 - 08h15