Il y a 40 ans, 39 personnes perdaient la vie lors du drame du Heysel : retour sur cet évènement marquant

Il y a 40 ans jour pour jour, le 29 mai 1985, Bruxelles accueillait la finale de la coupe d’Europe entre Liverpool et la Juventus de Turin. Une date à jamais gravée dans les mémoires comme étant celle du drame du Heysel. 39 personnes sont décédées dans le stade et des centaines d’autres blessées. Retour sur cet événement tragique. Attention, certaines images peuvent choquer.

Reportage d’Arnaud Bruckner, archives BX1

La vétusté du stade du Heysel également pointée du doigt

Outre la consommation excessive d’alcool, l’organisation défaillante ou encore le manque de coordination entre police et gendarmerie, l’état dans lequel se trouvait le stade du Heysel le jour de la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions entre la Juventus et Liverpool a aussi régulièrement été pointé comme l’un des facteurs expliquant le drame survenu le 29 mai 1985 et dans lequel 39 personnes ont trouvé la mort.

Le stade du Heysel était déjà plus que quinquagénaire lorsqu’il fut décidé d’y jouer la finale de la C1 de 1985.  Il s’est d’abord appelé Stade du Centenaire, ou Stade du Jubilé, et a été inauguré par le prince Léopold le 23 août 1930, dans le cadre des festivités du centenaire de l’indépendance de la Belgique, à l’occasion des championnats du monde de cyclisme sur piste.  La construction de l’édifice s’inscrivait dans le processus d’embellissement du plateau du Heysel en vue de l’Exposition universelle de 1935. A cette époque, le stade pouvait accueillir 70.000 personnes.  Après la Deuxième Guerre mondiale, le stade est rebaptisé du nom du plateau qui l’accueille. Le Heysel ne comporte plus de piste en bois. Dès la fin des années 50, l’enceinte devient un lieu régulièrement choisi pour accueillir des finales de Coupe d’Europe. C’est là que le Real Madrid décroche sa troisième Coupe des Champions en 1958, devant 67.000 spectateurs.

Le Heysel est  également le théâtre de la finale de l’Euro 1972, de la première victoire d’un club belge en Coupe d’Europe (Anderlecht en 1976) et de pas moins de quatre autres finales avant celle de 1985.  Dès 1971, le stade avait été doté d’une piste en tartan qui accueillera, en 1977, la première édition du Mémorial Van Damme. En 1974, le Heysel fut équipé d’un système d’éclairage révolutionnaire figurant parmi les plus performants d’Europe à l’époque.

C’est en février 1985 que l’Union européenne de football (UEFA) avait attribué la finale de la C1 à Bruxelles. Certains observateurs s’étaient étonnés du choix du Heysel, tant le stade paraissait délabré.  “Une grande partie du stade avait déjà été modifiée et rajeunie, mais les tribunes debout n’avaient fait l’objet d’aucune modernisation”, écrit l’Union belge de football sur la page de son site internet consacrée au drame du Heysel. “Certains murs présentaient des trous tellement grands que les supporters pouvaient pénétrer dans le stade même sans billet. La seule issue de secours du stade donnait vers le haut. Dans le bas, il n’y avait que trois portes de chaque côté. Beaucoup trop peu pour 22.000 places debout en tout. Ces terribles manquements n’avaient pas empêché l’UEFA d’attribuer la finale de la plus importante compétition européenne à Bruxelles en février 1985. L’inspection proprement dite du stade n’avait guère duré plus de trente minutes.” A l’époque, les draconiennes normes UEFA en vigueur aujourd’hui pour classer les stades n’existaient pas encore. Les acteurs de la finale eux-mêmes étaient pour le moins perplexes lorsqu’ils ont découvert l’enceinte à la veille du match. Les accès, les murs ou encore les cloisons censées séparer les différents blocs tombaient littéralement en ruine. Des gravats, qui allaient devenir de dangereux projectiles entre les mains des fauteurs de trouble, jonchaient le sol.

Le jour du match, des dizaines de supporters sans ticket ont profité de ces failles pour pénétrer dans le stade. Plusieurs heures avant le coup d’envoi, le Heysel était déjà plein à craquer, le nombre de supporters présents dans l’enceinte excédant largement sa capacité. Bien que le désormais funeste bloc Z, situé à côté des blocs de supporters anglais, n’était pas censé être garni de tifosi mais bien de spectateurs neutres, la légèreté du grillage le séparant du bloc voisin a joué un rôle majeur dans le drame. Il n’a fallu ainsi que très peu d’efforts aux fauteurs de trouble pour le traverser et charger les supporters du bloc Z, entraînant un important mouvement de foule dans lequel des dizaines de personnes furent écrasées. Le mur latéral du bloc Z, qui n’avait connu aucune rénovation depuis sa construction originelle, céda sous la pression. A contrario, les grilles qui séparaient la tribune du terrain ont tenu bon, se transformant en piège pour les dizaines de personnes qui s’y agglutinaient.

Après la tragédie, la Belgique s’est vue interdite d’organiser la moindre finale européenne pendant dix ans. Le Heysel n’accueillera plus que quelques finales de Coupe de Belgique et des matchs des Diables rouges jusqu’à sa ré-inauguration le 23 août 1995, 65 ans jour pour jour après l’inauguration du stade du Jubilé, sous le nom désormais de Stade Roi Baudouin. Neuf mois plus tard, l’enceinte bruxelloise retrouvera les joies d’une finale de Coupe d’Europe, avec la victoire du Paris Saint-Germain face au Rapid Vienne.

Le Stade Roi Baudouin accueillera aussi cinq rencontres de l’Euro 2000, co-organisé par la Belgique et les Pays-Bas, dont le match d’ouverture Belgique – Suède et la demi-finale entre la France et le Portugal. Le stade n’a plus subi de grosses transformations depuis le début du siècle et ne correspond plus vraiment à l’idée qu’on se fait d’un stade moderne. On a pu croire que ses jours étaient comptés lorsqu’en 2013, le gouvernement bruxellois a annoncé la construction d’un stade national sur le parking C du Heysel… sur le territoire de Grimbergen, en région flamande. Le projet a fini par capoter et la Belgique a dû renoncer à être un des pays-hôtes de l’Euro 2020, organisé dans plusieurs Etats, avec un an de retard, pandémie de covid oblige. Le Stade Roi Baudouin, propriété de la Ville de Bruxelles, accueille aussi des grands concerts et fait le plein chaque année à l’occasion du Mémorial Van Damme. Le 4 mai dernier, il a été le théâtre de la finale de la Coupe de Belgique marquée par les violences à Molenbeek et Jette mais aussi des dégradations à l’intérieur du stade. Les Diables Rouges, qui avaient joué à Genk en mars, fouleront de nouveau la pelouse du stade Roi Baudouin le 9 juin pour leur duel face au Pays de Galles en qualifications pour la Coupe du monde 2026.

“J’aurais pu être le 40e mort”, se souvient Sergio Ninotti, miraculé du Heysel

Le drame du Heysel, dont on commémore le 40e anniversaire le 29 mai, a coûté la vie à 39 personnes et fait plus de 600 blessés. Sergio Ninotti était l’un de ceux-ci même s’il aurait pu être la 40e victime de cette tragédie, comme il l’a confié dans une interview à l’agence Belga.

Sergio Ninotti a 15 ans en 1985. Il est arrivé à Bruxelles trois mois avant la finale de la Coupe des clubs champions entre Liverpool et la Juventus, “un événement qui unissait tous les Italiens”. Il achète des tickets pour la finale avec ses deux frères et se retrouve dans le bloc Z, réservé en principe aux supporters neutres mais où l’on trouve de nombreux Italiens ayant dégoté leur ticket au marché noir. Ses frères sont eux parvenus à échanger leur billet et se retrouvent à l’autre bout du stade, avec les tifosi italiens. Arrivé en retard, Sergio Ninotti est donc seul dans le bloc Z. Il y est entré sans que son ticket ne soit contrôlé.  “L’atmosphère était très étrange dès le départ”, se souvient-il. “Je voyais de nombreux Anglais qui entraient sans billet en portant des caisses de bière. Ils buvaient, étaient très agressifs et nous insultaient. A Rome, il y avait un important dispositif policier à chaque match mais là je ne voyais personne à part quelques policiers. Je n’étais pas rassuré du tout, dès le départ, je ne me suis pas senti en sécurité.” Seul un mince grillage sépare les blocs anglais et italien. “Les hooligans ont réussi à faire tomber le grillage, un mince filet de poulailler, et ont commencé à agresser violemment des gens. Il n’y avait toujours pas de policiers. Je me suis éloigné vers la partie du stade à côté du mur. Les Anglais continuaient à frapper des gens. Cela a créé un mouvement de panique et les gens se sont concentrés dans la partie de la tribune où je me trouvais. J’ai fini par ne plus savoir bouger. L’image qui m’est venue à l’esprit était ‘L’Enfer” de Dante: des gens enlacés et des visages de peur. Des gens sont tombés sur moi et je me suis retrouvé écrasé au sol. J’étais asphyxié, je ne respirais plus et n’avais plus aucune sensation, si ce n’est une forte angoisse et un profond désespoir. Je me suis rendu compte que j’étais en train de mourir.” Sergio Ninotti a eu la chance d’être parmi les premières personnes secourues. “Je me suis retrouvé à l’hôpital Brugmann. C’est là que j’ai retrouvé mes esprits. C’était comme un hôpital de guerre, on était tous par terre. Je suis rentré tout seul chez moi”, raconte-t-il. “Ma mère était complètement tétanisée quand elle a vu ma tête.”

Pas de GSM à l’époque, et donc pas de moyen de prévenir ses proches. “Mon frère est venu me chercher parmi les morts du bloc Z. Cela l’a marqué pendant des jours”, se souvient Sergio Ninotti, qui n’a pas tardé à retourner à l’école. “C’est à l’école que j’ai réalisé ce qu’il s’était passé, en voyant les réactions des autres élèves, leurs peurs, leurs angoisses. C’est aussi là que j’ai appris qu’il y avait eu 39 morts et que j’aurais pu être le 40e.”

Physiquement, Sergio Ninotti, qui pratiquait l’athlétisme, s’est assez vite remis sur pied. Psychologiquement, cela a pris des années avant qu’il puisse réellement tourner la page. “Pendant l’été 85, j’ai eu une sensation de suffocation en mangeant quelque chose et j’ai arrêté de manger pendant plusieurs mois. J’ai vu une psychologue en septembre 1985 mais on n’a même pas parlé de l’événement. C’était une autre époque… J’ai fini par m’en sortir tout seul. A 23 ans, j’ai fait une dépression nerveuse et cela m’a permis de replonger vraiment sur ce qui était arrivé et d’aller au-delà de ce grand choc.”  Sergio Ninotti a “partiellement” suivi le ‘procès du Heysel’ quatre ans après le drame. “Les autorités ont une grande responsabilité. Elles n’étaient pas préparées et n’ont pas réagi immédiatement. On a laissé les hooligans à côté de gens pacifiques, dans un stade qui ressemblait à un stade de D4 en Italie. On a parlé de responsabilité partagée, de provocation entre les deux camps. Cela m’a écoeuré. Certains hooligans ont agi comme des assassins. Dans les événements de groupe, il y a toujours des suiveurs mais je suis convaincu qu’il y avait un dessein. Peut-être pour se venger de ce qui s’était passé à Rome un an plus tôt (les violences en marge de la finale entre l’AS Rome et Liverpool, ndlr). Ils étaient trop bien organisés. Certains n’ont pas payé pour ce qu’ils ont fait, c’est impardonnable.”

Belga

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29 mai 2025 - 06h00
Modifié le 29 mai 2025 - 06h56

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