Fabrice Cumps : “Il a fallu gérer l’inconnu”

Aujourd’hui, le bourgmestre d’Anderlecht, Fabrice Cumps (PS), revient sur la manière dont il a vécu la crise sanitaire. Dès février 2020, il prend les fonctions de bourgmestre même s’il ne le sera officiellement que quelques semaines plus tard. Une passation de pouvoir au début de la crise.

Nous sommes en janvier 2020 et la Chine se confine. Quel est votre état d’esprit à cette période?

Je me revois en train d’écouter les infos. La Chine allait confiner tout le pays et je me dis “ils sont dingues”. Il n’y a que les Chinois pour faire ça, cela ne serait jamais possible chez nous. Cette décision montre leur autoritarisme.

Vous prenez vos fonctions lorsque le confinement commence. C’est étrange?

Ce n’est pas une prise de fonction classique en effet. En cinq mois, j’ai connu plus de choses que certains bourgmestres sur toute leur carrière. C’était une période très curieuse. On était en gestion de crise complète avec les équipes en présentiel. Il fallait prendre des décisions sans grande certitude. On a une intensité folle en journée et puis, le soir à 18h, on est seul chez soi, presque sans savoir quoi faire.

Comment se déroule votre confinement?

Je ne suis jamais resté chez moi. Je suis toujours venu à la commune. Mettre en place le télétravail a été très difficile car on n’avait pas de téléphones et d’ordinateurs portables pour les équipes. Je pensais que la première vague serait la seule et l’unique, je ne me disais pas que ça allait rebondir. Je suis quelqu’un de rationnel, trop parfois. Je comprends la difficulté du métier de scientifique. Il a fallu gérer l’inconnu. On discutait de la taille des filtres en micron et, ensuite, on a dit qu’une écharpe suffisait… Je suis un peu hypocondriaque mais je reste rationnel.

Les maisons de repos ont-elles été abandonnées selon vous?

Oui. Je suis allé au home du CPAS : la détresse du personnel et des résidents était énorme. Le personnel se disait qu’il était envoyé au feu sans rien, dans la bulle qui va exploser. Idem pour l’hôpital. Ce sont des moments qui m’ont marqué plus profondément. C’est difficile de lui parler et d’être le représentant de la fonction publique. C’est sur nous que les soignants ont déversé leur fureur.

A cette période, la solidarité se met en place également.

On a organisé la solidarité sur deux plans : les messages et les toutes-boîtes pour donner les numéros d’urgence pour les personnes isolées. On avait une base de données fiable. Et au niveau de nos “bras communaux”, on a eu un atelier de couture. Ils ont d’ailleurs créé des masques pour sourds et malentendants.

Quel est votre état d’esprit lors du déconfinement de l’été dernier?

J’étais en Provence et j’ai dû rentrer plus rapidement que prévu à cause des chiffres qui remontaient. Et à ce moment, on nous dit que la vaccination va tout solutionner mais on ne sait pas quand. Je salue l’exploit de créer un vaccin si rapidement, mais sur le terrain, le temps parait long.

Avez-vous le sentiment que le terrain a été suffisamment pris en compte?

Il y a eu des erreurs de communication. Quand on dit qu’on peut refaire du kayak ou aller à la pêche, on est loin des réalités d’Anderlecht (sourire). On a des spécificités. Quand Anderlecht, Molenbeek et Schaerbeek ont les plus hauts taux, c’est fou le nombre d’appels de la presse que j’ai eu avec des questions sous-jacentes insinuant que les gens ne respectaient rien. Personne n’a dit la même chose pour Ixelles ou Woluwe. Ce sont surtout les journaux néerlandophones qui ont fait du bashing des quartiers populaires.

Trouvez-vous que la coordination entre les bourgmestres a bien fonctionné?

On a eu la volonté de ne pas partir dans tous les sens. C’était plus facile pour nous aussi. Si on est seul à prendre une mesure, c’est plus complexe de la défendre. Par contre, si on est 19 à la prendre, on peut plus difficilement nous prendre pour des dingues. On n’a jamais eu de débat houleux au CORES (conseil régional de sécurité) et je pense que Rudi Vervoort a bien pris sa place. La gestion municipale a été très importante. Je pense que les gens aiment leur bourgmestre même s’il lui tombe dessus quand ça ne va pas. On a 200 appels pour 120.000 habitants donc ça va.

Comment se déroule la vaccination à Anderlecht?

On est dans la moyenne, voire un peu en dessous. Certaines communautés sont moins accessibles. Il y a aussi toute la fracture sociale et numérique. Des gens n’ont pas accès à l’information. On est allé au contact des quartiers. La Cocom a d’abord voulu faire du chiffre. Maintenant, on tente de toucher les personnes les plus éloignées de l’information avec des campagnes pour les 18 ans et plus sans rendez-vous pour tenter de vacciner un maximum.

Quel est votre état d’esprit aujourd’hui?

Je suis plus serein qu’il y a quelques semaines. On est dans une période de reprise économique, on revoit les amis. Je regarde les chiffres de contamination tous les jours et je ne suis pas inquiet.

Qu’est-ce qui a été le plus dur pour vous?

Le plus dur, c’est d’être le porte-parole de décisions dont on n’est pas le maître. Ceci dit, j’ai la chance de ne pas avoir été touché ni de près ni de loin par la maladie. Je ne me suis jamais senti seul lors de la prise de décision et j’ai continué à bien dormir.

Qu’est-ce qui vous a surpris?

Ce qui m’a surpris, c’est la capacité des pouvoirs publics à agir rapidement. On a pu réquisitionner une morgue et des hôtels pour les sans-abris. C’était nouveau et rapide.

Qu’est-ce qui vous a choqué?

Ce qui m’a choqué, c’est le basculement de l’attitude envers le personnel soignant dans la première et la seconde vague. Entre les applaudissements et ensuite les personnes qu’on rejetait parce qu’elles pouvaient contaminer…

Qu’est-ce qui vous a manqué le plus?

Les congés. C’est un mandat prenant or il faut souffler de temps en temps. Là, ça n’a pas été possible. Je ne m’attendais pas à cela.

Est-ce que cette crise a changé quelque chose en vous?

Ça ne m’a pas changé. Par contre, je suis encore plus convaincu qu’il faut des politiques sociales organisées par les pouvoirs publics.

Vanessa Lhuillier

 

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