Christian Lamouline : “On doit rester calme et serein, c’est ce qu’on attend des gens qui dirigent”

Christian Lamouline (cdH) est devenu bourgmestre de Berchem-Sainte-Agathe le 1er septembre 2020, entre les deux confinements. Un baptême du feu durant lequel il a gardé son sang-froid.

En janvier 2020, vous êtes patron de l’administration régionale bruxelloise et on parle d’un nouveau coronavirus en Chine. Quel est votre état d’esprit à l’époque?

Interrogatif et sur ses gardes. Je gère alors 1.700 personnes à l’administration. En décembre, j’étais en voyage en Asie et on en parlait peu. Quand je rentre, je me dis que ça peut arriver chez nous mais cela reste théorique. Je voyais les Asiatiques porter des masques pour se protéger de la pollution et cela semblait extérieur à nous. Je n’imaginais pas qu’on les porterait aussi.

Comment se passe votre premier confinement?

J’ai l’optique de garder mon sang-froid et de prendre du recul. On doit rester calme et serein, c’est ce qu’on attend des gens qui dirigent. En 1969, on a la grippe de Hong Kong. Ce n’est pas la première fois que l’humanité connaît une épidémie et je me dis qu’on va en sortir. La vie est faite de virus et cela permet de relativiser. Je me renseigne et je lis. Je n’avais pas beaucoup de connaissance en médecine. J’avais des amis qui se préparaient comme face à un siège. Je n’ai pas eu ce réflexe. On avait aussi déjà bien développé le télétravail à l’administration. Il faut s’habituer avec la visioconférence. J’ai fait quelques vidéos pour les agents. En tout cas, le confinement ne m’a pas stressé. Je ne suis pas addict aux activités sociales. Cela m’a permis de travailler sur des évolutions de fond sur l’administration. Personnellement, j’ai réfléchi sur certaines choses, au sens de la vie, aux contraintes. J’ai toujours eu le concept que les contraintes doivent être transformées en opportunités.

Vous saviez déjà que vous alliez devenir bourgmestre?

La transition se préparait. On parlait d’un changement pour la mi-législature mais on a un peu avancé la date. Initialement, on avait prévu juin et puis, on s’est rendu compte que les choses allaient aller mieux à un moment et on a prévu le 1er septembre. On ne lâche pas un gouvernail en pleine crise.

A l’été 2020, lors du premier déconfinement, quelles sont vos pensées?

Je m’attendais à une nouvelle vague. Je pensais qu’en octobre ou novembre, on aurait une remontée. On a eu un décalage entre la réalité et les décisions prises. Je crois qu’on a trop attendu. C’était un mauvais message. Ceci dit, ce n’est pas évident de prendre les décisions au bon moment. On se dit qu’on est parti pour plusieurs mois de confinement. Cela pèse sur la psychologie des gens. Et c’est une situation terrible pour tous ceux qui n’ont pas pu travailler. La commune a été très proche des commerçants mais on n’a pas les moyens pour les aider. On est limité dans ce qu’on peut faire. Un quart du déficit de cette année est à cause du covid.

Vous devenez bourgmestre à une période très particulière. C’est compliqué pour vous de prendre les décisions?

Parfois je peux avoir des anxiétés mais quand j’ai pris une décision, j’avance. La remise en cause, elle peut arriver mais j’ai tendance à avancer. Il vaut mieux être présent qu’être sur la défensive. Je suis pragmatique et soucieux de l’adhésion de la population. Si les gens commencent à remettre en question les décisions, c’est plus complexe. Les PV de police, c’est quand le reste n’a pas marché. On a buté sur des facteurs qui ont sapé l’adhésion. Certains ont mis le doute dans l’esprit des gens. Je dois aussi saluer la solidarité des Berchemois. Des masques ont été confectionnés par des volontaires et on a eu du bon sens. Beaucoup de personnes ont mal vécu la situation, c’est vrai. Je me suis adressé aux habitants en disant d’être solidaire et responsable, qu’ensemble on pouvait le faire. Je leur ai parlé comme à des adultes. Quand c’est difficile, il faut tenir un discours réalité. Je voulais être à l’écoute. Je l’ai fait aussi avec la vaccination. On a envoyé des courriers dans plusieurs langues pour toucher tout le monde.

Est-ce que vous trouvez que la coordination des communes et du ministre-président, Rudi Vervoort, a été efficace?

Au fil du temps, on prend conscience de l’importance de parler d’une même voix. Avec le décumul, la conférence des bourgmestres deviendra plus importante. Cela sera l’endroit où on pourra parler d’une même voix. J’ai vu qu’il y avait une volonté d’écoute du ministre-président. Il a joué la concertation. Il faisait le tour de table et tranchait ensuite. La synergie servira pour l’avenir. Après, ce qui m’a manqué, c’est le monitoring des effets des mesures décidées. J’aime bien les tableaux de bord. On avançait de manière empirique. On était frustré. On demandait si cela allait améliorer les choses dans les Cores. On ne savait pas si on prenait la bonne décision du coup.

 

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Vous trouvez qu’on a assez écouté le terrain?

Sur la vaccination, j’ai été très frustré. On devait vacciner un maximum de gens et j’ai fait la proposition d’avoir un centre à Berchem car la population est âgée et l’élément de proximité est important. Cette préoccupation, on l’a relayée avec les autres bourgmestres du nord-ouest car on trouvait qu’on était en dehors des cercles et on ne nous a pas écoutés. Heureusement, le centre de Molenbeek est à la limite de la commune. Maintenant, nous sommes dans les bons élèves en termes de vaccination. On doit tout de même sensibiliser les plus jeunes. On vient de passer une convention de collaboration avec la Cocom pour recevoir les coordonnées des gens pas vaccinés pour pouvoir les appeler.

Quel est votre état d’esprit aujourd’hui?

Je me dis que le plus gros est derrière nous. Je suis optimiste mais il ne faut pas lâcher trop vite. On doit garder certains gestes et agir avec prudence. Je pense que la rentrée sera meilleure et que la vaccination va porter ses fruits. Je crois beaucoup à la résilience et on doit anticiper. Avec la mondialisation, on est fragile à n’importe quel autre virus. On doit se préparer à affronter cela.

Qu’est-ce qui vous a surpris?

J’ai vu pas mal d’élan de solidarité et c’est très positif. Par contre, j’ai aussi vu de l’impréparation: les stocks de masques détruits, des aspects négligés surtout au début. C’est l’élément le plus négatif.

Qu’est-ce que cette crise a changé chez vous?

D’un point de vue politique, j’avais prévu d’aller à la rencontre des gens. Je vais le faire mais j’ai dû le reporter. Mais on a réfléchi sur le long terme. J’ai mis en place un nouveau plan de développement communal. La qualité du cadre de vie a pris de l’importance. On doit rebondir avec du positif. On doit avoir du plaisir à vivre à Berchem. Ça, on a pu le faire parce qu’on avait le temps et qu’on n’était pas entre deux kermesses. Et d’un point de vue personnel, je crois que ce type d’épreuve aide à remettre de l’ordre dans ses priorités et sur la valeur et l’importance de la qualité de vie. C’est salutaire pour mieux faire le tri entre l’essentiel et le futile.

Vanessa Lhuillier