Brussels Expo est en faillite virtuelle
Sur le plateau de +d’Actu, le bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Philippe Close (PS), affirmait disposer d’un masterplan pour faire revivre Brussels Expo. Dans les faits, tout est plus complexe, car l’ASBL est aujourd’hui en faillite virtuelle. Elle devrait s’insérer plus fortement dans le projet Neo.
Rien n’est simple lorsqu’on touche au dossier du réaménagement du plateau du Heysel. Plus le temps passe, plus les obstacles se dressent devant le projet de construction du centre commercial, des logements, des espaces de loisirs et maintenant du centre de congrès. Depuis de nombreuses années, les voix s’élèvent pour demander une réévaluation complète du projet, mais depuis la pandémie, elles se font de plus en plus entendre.
A présent, deux actualités s’entrechoquent et il est de plus en plus urgent pour la Ville de Bruxelles, comme pour le gouvernement régional, de prendre des décisions. En mars, un rendez-vous est d’ailleurs fixé avec le principal investisseur, le groupe Unibail, pour confirmer ou non la construction du centre commercial, pièce maîtresse qui doit permettre de financer les autres phases d’aménagement du plateau du Heysel.
►Ville de Bruxelles : Unibail souhaite-t-il toujours construire Neo 1 sur le plateau du Heysel?
La problématique du Plan régional d’affectation du sol
A plusieurs reprises, le conseil d’Etat a cassé les modifications inscrites au Pras (plan régional d’affectation du sol) pour le plateau du Heysel. Le conseil a longtemps considéré que la Région avait mal justifié l’emplacement du futur centre commercial. Puis, les communes de la périphérie flamande ainsi que les organisations patronales, ont aussi intenté des recours contre les nouvelles versions proposées par Bruxelles.
Depuis, le gouvernement et surtout ses juristes, ont tenté de trouver une solution pour modifier le Pras sans être cassé par des recours. Ils ont pris leur temps. Certains ont parlé de blocage du partenaire Ecolo qui n’a jamais vu d’un très bon œil le projet Neo. Le 23 décembre, finalement, le miracle s’est produit. Le gouvernement s’est mis d’accord en première lecture sur la modification du Pras pour le plateau du Heysel. Un pas important puisque sans Pras, le projet Neo ne peut plus avancer.
Cette modification porte sur les questions de mobilité principalement. De plus, les emplacements de stationnement en surface seraient supprimés et la modification n’indique plus le nombre de mètres carrés que doit faire le futur centre commercial. L’espace vert de 7 hectares est maintenu.
Une enquête publique sera organisée mi-février. Elle durera 60 jours et la Commission régionale de développement devra remettre un avis dans les 90 jours. Un plan d’aménagement directeur (PAD) devra suivre dans la foulée. Cette avancée est évidemment importante pour l’investisseur Unibail et la rencontre du mois de mars. Cependant, rien n’est encore gagné, car il y a fort à parier que des recours seront introduits. Il faudra voir si un accord de gouvernement obtenu en deux ans suffira à les convaincre de rester dans le projet.
Plus de financement régional pour 2022
Comme rien n’est sûr, la Région bruxelloise a même décidé de ne plus investir dans la scrl Neo qu’elle a créé avec la Ville de Bruxelles pour financer Neo 2. Pour rappel, Neo 2 devait être la construction d’un grand centre de congrès ainsi que d’un hôtel. Seulement, la pandémie a bouleversé le secteur des foires, salons et autres congrès. Selon une étude américaine, 85% des grandes entreprises consacreront moins d’argent pour les voyages à l’étranger.
Prudemment, la Ville et la Région ont donc décidé en octobre 2020 d‘annuler Neo 2 et la construction du centre de congrès. Cependant, cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus ni foires ni salons sur le plateau du Heysel. La scrl Neo doit toujours être financée par la Ville et la Région. Or, la Région a décidé de suspendre ses versements annuels pour 2022. Lors d’une discussion sur le budget le 6 décembre dernier, le ministre-président Rudi Vervoort (PS), a expliqué que “dans l’attente de voir plus clair sur l’avenir du MICE ( NDRL secteur des congrès et salons) sur le plateau du Heysel, mon gouvernement a fait le choix de suspendre les crédits habituellement prévus dans le plan de liquidation défini sur 20 ans à la suite de la prise de participation engagée en 2014 par la Région dans la société Neo.”
La Région s’était engagée à verser un peu plus de 8 millions d’euros par an sur 20 ans pour faire l’apport de 168 millions dans la scrl Neo. La Ville, elle, devait apporter la même somme via le canon, autrement dit le loyer, qu’elle percevra lorsque Neo 1 sera construit. La Région a tout simplement décidé de revoir cet accord tout en précisant qu’elle souhaitait un engagement dans Neo 3.
Brussels Expo en faillite virtuelle
Neo 3, c’est le nouveau plan de la Ville de Bruxelles. Il comprend la refonte des palais de Brussels Expo ainsi que la construction d’un centre de convention qui serait certainement intégré dans Brussels Expo. A moins que cela ne soit Brussels Expo qui ne soit intégrée dans la scrl Neo.
C’est la deuxième partie du dossier à laquelle il va falloir très rapidement trouver une solution. Comme le disait Philippe Close lundi soir, Brussels Expo a perdu près de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires depuis le début de la crise sanitaire et la reprise n’est pas pour demain. Brussels Expo a mis le maximum de son personnel en chômage temporaire, mais fin 2021, elle a dû licencier 9 personnes. En plus, l’ASBL qui dépend de la Ville de Bruxelles est en faillite virtuelle. Elle ne peut plus faire face à ses dépenses.
Dans les statuts qui lient la Ville et Brussels Expo, la Ville doit assurer que l’ASBL ait assez de liquidité pour son fonds de roulement. En 2021, elle a investi 4 millions d’euros et donné 4 autres millions de subsides. A cela s’est ajouté un prêt supplémentaire de 3 millions d’euros. En 2022, elle ajoutera 2 millions d’euros de subsides. “Si l’activité redémarre dans les mois qui viennent, cela ira, confie le COO de Brussels Expo, Emin Luka. Par contre, si cela ne reprend pas, je ne sais pas ce que nous allons faire.”
Brussels Expo n’envisage pas de nouveau licenciement dans les semaines qui viennent. Elle espère surtout que le prochain gros salon, Label Expo, se déroule bien comme prévu en avril, mais l’organisateur n’a toujours pas signé le contrat. Le salon de l’Auto est déjà annulé, Batibouw, reporté au mois de mai, sera d’une taille plus modeste et durera moins longtemps ce qui signifie moins de rentrées pour Brussels Expo. Quant au Palais 12, il est fermé tant que les événements de plus de 200 personnes ne sont pas autorisés. Et enfin, le loyer pour la salle de la Madeleine a été réduit à 120.000 euros par an au lieu des 300.000 euros prévus.
Des palais à rénover
De plus, tout le monde connaît la vétusté des palais du Heysel. Une étude allemande montrait l’urgence de leur rénovation et qu’elle serait plus économique que la construction d’un mégacentre de congrès comme prévu dans Neo 2. Aujourd’hui, on parle d’un budget de 150 millions d’euros pour la construction d’un centre de convention dans la structure des palais et pour rénover quelques halls d’exposition. Il pourrait grimper à 700 millions dans le cadre d’une démolition/reconstruction de l’ensemble de l’infrastructure, à l’exception du Palais 5 qui est classé.
“La Ville a dépensé près de 30 millions d’euros entre Neo 1, Neo 2 et les aides pour Brussels Expo, commente le député et conseiller communal libéral, David Weytsman. On se retrouve avec un plateau du Heysel mutilé et délaissé par le Collège de la Ville qui ne prend plus aucune initiative, sans perspective réelle de renouveau. Pourtant, tout est déjà là ! Les Palais, à rénover, les vestiges des expos universelles, l’Avenue Houba de Strooper et ses commerces. C’est là que les financements doivent être investis au plus vite. On sort un Neo 3 avec le même manque de transparence que Neo 1 ou 2. Où est la participation citoyenne dans ce dossier?”
Une fusion contre la faillite
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir comment sauver Brussels Expo de la faillite. Une des pistes qui est sur la table de conseil d’administration de l’association qui se déroulera ce mercredi matin, c’est la fusion entre Brussels Expo et la scrl Neo sous le nom de code NewCo. Une manière d’éviter la faillite et de poursuivre les investissements pour que Bruxelles garde son statut de ville de congrès de taille internationale. De plus, le privé pourrait aussi être sollicité dans un second temps.
Cette décision demande évidemment des arbitrages politiques et financiers. La Région viendrait avec l’argent qu’elle a déjà mis dans Neo, la Ville avec son foncier et la valorisation du terrain par Brussels Expo. Reste que tous les terrains de la Ville ne sont pas libres, à commencer par le Parking C sur lequel devait être construit le stade national. Le promoteur Ghelamco a toujours une emphytéose qui pourrait coûter 60 millions d’euros à la Ville si elle la reprend. “Ce sont des éléments qu’il faut régler, mais je pense qu’il serait intéressant d’effectuer un rapprochement et travailler ensemble, avec la Région, vers un projet concret de fusion”, conclut Emin Luka.
Pour Brussels Expo aussi, le temps presse. Un rendez-vous est donné mi-mars avec le conseil d’administration pour décider du chemin à suivre. Si Bruxelles souhaite encore investir dans les congrès et salons, le centre de convention devrait voir le jour d’ici trois ou quatre ans au plus tard. Or, l’expérience a démontré que tout prend du temps, trop peut-être, dès que cela concerne le plateau du Heysel.
Vanessa Lhuillier – Photo: BX1