Benoît Cerexhe : “Nous avions l’impression d’avoir affaire à des apprentis”
Le bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre, Benoît Cerexhe (cdH), a voulu jouer la carte du principe de précaution. Malgré le manque de préparation, il a tenté de faire face à cette crise.
Nous sommes en janvier 2020 et la Chine se confine. Quel est votre état d’esprit?
Cela paraît loin et j’avais l’impression que c’était circonscrit à la Chine. Quand cela arrive en Italie, des craintes me traversent l’esprit et j’anticipe avant les mesures de confinement en interdisant les voyages scolaires et pour le 3e âge prévus après carnaval. J’ai eu beaucoup de pression de la part des parents qui considéraient que j’étais trop prudent. Le principe de précaution a guidé ma politique tout au long de la pandémie. Je ne voulais pas prendre le moindre risque. Jamais je n’ai imaginé être confronté à ce type de situation. Nous avions eu la période très difficile des attentats, mais ici c’est autre chose. Je ne pensais pas qu’on restreindrait à ce point les libertés. Jamais je n’ai imaginé de dire aux gens de rester chez eux, d’arrêter une partie de leur vie. L’image de la guerre était forte mais la situation s’apparentait à cela.
Quand arrive le premier confinement, comment gérez-vous la situation?
Je me dis que nous sommes totalement impréparés. En tant que commune, nous avons été le réceptacle de tout. Il faut appliquer des mesures que nous n’avons pas décidées. Ce défaut d’anticipation, je peux le comprendre pendant le premier confinement mais pas sur la 2e période. Prenez les masques. Je voulais les imposer dans les noyaux commerciaux. J’ai très vite senti que la position des experts sur leur utilité, allait évoluer. Nous avons été la première commune juste après Saint-Josse à distribuer des masques à la population. J’ai passé moi-même trois jours à téléphoner à des fournisseurs. Finalement, j’ai divisé ma commande en deux pour être sûr d’avoir quelque chose. Une première livraison de masques venant de Chine arrive à Zaventem, un mois avant celles des autres communes. La douane bloque mes masques à Zaventem. Je deviens fou. Elle veut en vérifier la conformité alors que Sophie Wilmès disait qu’un foulard suffisait. Finalement, un soir à minuit, en contact avec le ministre des masques de l’époque, Philippe De Backer, et grâce à Alexia Bertrand, la douane me dit qu’elle va débloquer ma cargaison si j’en envoie des photos. Je parviens à en avoir et mes caisses sont débloquées. J’avais 50 personnes en stand-by pour mettre sous enveloppe et les distribuer. Mais je reste prudent. Mon fournisseur français me dit alors que les masques pour Woluwe-St-Pierre sont pour la semaine prochaine, qu’ici ce sont des masques pour Pau et Mulhouse. Je tape du poing sur la table et lui explique que si ses masques peuvent quitter la douane, c’est grâce à moi! Il s’excuse, le camion arrive et le livreur me dit que le prix a changé. Vous vous rendez compte! C’était la mafia des masques. Quand nous les avons eues, le personnel a applaudi. C’était une cargaison d’or qui arrivait. Quant aux masques chirurgicaux et FFP2, j’ai eu la chance d’avoir des citoyens qui avaient des relations étroites avec la Chine et qui m’ont trouvé des filières pour en avoir. Ça a été le règne de la débrouille.
Les maisons de repos ont été très touchées également. Pensez-vous qu’elles ont été abandonnées?
L’Etat les a complétement abandonnées. Nous avons aidé la nôtre mais aussi les privées. Nous avons été en contact permanent avec elles. Nous leur avons fait bénéficier de nos filières pour l’approvisionnement en matériel de protection, mais au début, c’était le chaos le plus complet. Nous avons été laissés tout seul. Cela nous a coûté énormément d’argent car le matériel coûtait très cher. Au CPAS, nous avions du personnel qui était malade et j’ai fait un appel à la population médicale et paramédicale qui ne pouvait pas travailler, pour les engager à la maison de repos. Il fallait donc verser deux salaires. Pour la première fois depuis 1983, date de mon entrée au conseil communal, nous allons avoir un compte en déficit. L’administration à la Cocom était trop peu étoffée, le gouvernement régional débutait avec quelques ministres peu expérimentés. Et le fédéral qui parlait de petite grippe. Nous avions l’impression d’avoir affaire à des apprentis.
Personnellement, comment se passe votre confinement?
Je suis venu travailler tous les jours. Les journées étaient longues. Je me suis remis au jogging. J’ai eu une vie plus régulière en réalité. La vie de bourgmestre, vous savez quand vous quittez chez vous le matin mais pas quand vous rentrez le soir.
Quand on déconfine en juin dernier, vous pensez que c’est fini?
Au début de la crise, les experts nous avaient dit que cela irait mieux pour les vacances. J’ai vécu dans cet espoir-là en restant prudent et fin août, je me suis dit qu’on n’allait pas s’en sortir si vite.
Le deuxième confinement a été long.
J’ai vu une grande acceptation de la population malgré la longueur en ce compris à Noël, mais après, les gens ont décroché. Il faisait mauvais, sombre. Nous savons que nous allons encore avoir des mois difficiles et là, les gens en ont eu marre. Au fil du temps, le taux d’acceptation a quand même diminué. La police a toujours eu une approche préventive et les choses se sont correctement passées. J’ai eu souvent des rassemblements dans le parc de la Woluwe, mais ça s’est globalement solutionné de manière pacifique. Nous n’avons pas appelé les autopompes mais nous sentions que la population n’allait plus tenir longtemps, surtout la jeune génération. Les experts devaient se rendre compte de ce qui se passait sur le terrain.
Le terrain n’a pas été assez écouté?
Je reproche la cacophonie dans la manière de dispenser l’information. Nous n’avons pas eu de communication de crise structurée. Les politiques n’ont pas donné l’exemple. A la veille des CNS ou des Codeco, chacun faisait son petit exercice de musculation et ressortait tout nu. Certains politiques ont manqué de sens des responsabilités. Majorité, opposition et surtout à l’intérieur de la majorité, nous devons avoir en ligne de mire l’intérêt général. Cette dissonance dans la communication n’aidait pas.
Trouvez-vous que la coordination entre les bourgmestres a bien fonctionné?
A part quelques épiphénomènes au départ, objectivement, nous avons eu une belle coordination et peu de dissonances. Nous nous sommes vus régulièrement et globalement, les décisions se sont prises en consensus malgré nos partis différents. J’ai senti Rudi Vervoort plus présent lors des attentats qu’ici. Je pense tout de même qu’il a essayé de jouer son rôle de coordination. Ce n’est pas simple à gérer mais je reproche un manque d’anticipation du fédéral et du gouvernement régional. La mise en place du tracing a mis du temps et le dossier sur la quarantaine à Bruxelles, nous avons mis des mois en plus pour arriver à un accord qui ne donne rien. Je n’ai eu aucun signalement. La relation n’a pas été parfaite entre la Région et les communes. Un des enseignements que je retiens, c’est l’utilité des communes. Je ne sais pas comment nous aurions géré cette crise sans les communes qui ont été en première ligne, proche des citoyens, qui ont implémenté les mesures. Le niveau de pouvoir communal a la confiance du citoyen. Je n’ai jamais eu dans toute ma carrière politique autant de retours positifs du citoyen.
Vous avez eu peur parfois?
Je ne panique pas facilement et j’ai l’impression d’avoir gardé la maîtrise de l’organisation. Ce n’est pas toujours facile d’être seul pour prendre des décisions. Assurer la sécurité sur son territoire, c’est une lourde charge.
Qu’est-ce qui a été le plus dur pour vous?
Le plus dur, c’est de ne pas savoir quand ça va s’arrêter. Il faut le porter vis-à-vis des citoyens. Ne pas voir le bout du tunnel, cela mine le moral des troupes. La première période avec la gestion des maisons de repos avec les familles qui se disent qu’on les abandonne, cela a aussi été très dur.
Qu’est-ce qui vous a surpris?
J’ai pu compter sur toute une série de gens qui se sont mobilisées sans compter. Le bénévolat des citoyens a été fou. Mon centre de vaccination fonctionne encore aujourd’hui avec 130 bénévoles. Ils ont répondu un numéro vert, des gens allaient faire les courses, chercher les gens. C’est un enseignement très positif.
Qu’est-ce qui vous a choqué?
Le peu de sens des responsabilités de certains politiques en période de crise majeure, c’est pitoyable.
Qu’est-ce qui vous a manqué?
La convivialité, voir des amis, voir des gens. J’aime le contact humain. Si vous faites de la politique, vous devez aimer les gens et là, j’ai eu peu de contacts. Cela m’a manqué.
Est-ce que cela a changé quelque chose chez vous?
Le sens des priorités. C’est clair qu’aujourd’hui les choix politiques que nous allons mener, seront réorientés. Il faut axer sur des missions essentielles. Mes priorités personnelles évoluent aussi. Je dois délivrer à mes citoyens un enseignement et un environnement de qualité.
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Vanessa Lhuillier