#BalanceTonBar : une nouvelle génération de féministes qui brandit de nouvelles armes

Le militantisme féministe porte le poids de son héritage, mais entre les suffragettes du début du 20e siècle et les militantes féministes 2.0, il y en a eu du chemin parcouru. Revendiquer une place dans la société, des droits, le respect de son intégrité : les valeurs féministes perdurent dans les luttes actuelles, mais force est de constater que les profils des activistes féministes ont évolué, tout comme les armes employées pour faire entendre leurs revendications.

En l’espace d’un mois, une Union Féministe Inclusive Autogérée (Ufia) s’est créé, portée par la vague de témoignages d’agressions sexuelles dans le milieu festif bruxellois de la nuit. Une union composée de dizaines de “citoyen.ne.s/activistes engagé.e.s issu.e.s de différents secteurs belges”, mais également “des associations et collectif.ve.s bruxellois.es agissant sur le terrain”. Le besoin de se structurer s’est fait sentir pour avoir le droit à la parole dans le débat public au sujet des violences sexuelles.

Cette alliance se veut inclusive et c’est sans doute l’un des premiers points qui définit cette nouvelle génération de féministes. Quand t’es une personne racisée, difficile d’utiliser les mêmes armes que des féministes blanches. On doit réfléchir attentivement aux lieux où on va militer par exemple”, explique Estelle Depris, afro-féministe intersectionnelle et fondatrice du compte Sans Blanc de Rien sur Instagram.“Quand tu te penches sur l’histoire du féminisme, tu ne peux que constater qu’il a baigné dans une histoire raciale hyper forte. Les femmes noires étaient toujours exclues des conversations et on le voit encore aujourd’hui avec le fait que les médias se tournent plus facilement vers des femmes blanches, les mettent plus en avant”.

Une rapide revue de presse suite à la sortie médiatique de l’UFIA ce lundi 8 novembre le démontre bien : alors qu’une quinzaine de collectifs et militantes étaient signataires de la lettre aux 19 bourgmestres bruxellois, de nombreux médias ont fait le choix de ne mettre en avant que des militantes blanches. Parmi ces signataires, on retrouve Victoria, une féministe intersectionnelle qui sensibilise et déconstruit les stéréoptypes liés à sa transidentité sur son compte Instagram.“Jusqu’à il y a peu, les minorités au sein des mouvements féministes n’avaient pas la parole parce qu’elles étaient encore plus opprimées au sein de la société. Les personnes trans n’étaient absolument pas visibles”.

 

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Le féminisme nouvelle génération est intersectionnel

La notion d’intersectionnalité peut paraître floue, pourtant elle concerne une majorité de la population. Il s’agit d’un outil de lecture et un positionnement politique social, où les discriminations sont comprises dans leur ensemble. L’intersectionnalité questionne donc les formes d’oppressions (racisme, homophobie, transphobie, sexisme…) qui créent des inégalités supplémentaires, comme des couches qui se superposent les unes aux autres.

Une femme noire trans et queer qui subit une agression sexuelle ne sera pas reçue par le corps médical et les services de police de la même manière qu’une femme blanche hétérosexuelle. Les couches d’oppressions s’accumulent pour certaines personnes et les féministes “nouvelle génération” souhaitent faire entendre que les politiques publiques ne peuvent plus être pensées pour aider les femmes “en général”. Une façon bien trop étriquée d’appréhender la réalité de terrain et notamment celle des violences sexuelles.

Les alliances féministes sont rares dans l’Histoire

“Cette alliance intersectionnelle et inclusive est fascinante à analyser”, confie Pauline Grippa, doctorante à l’ULB en psychologie sociale. Elle consacre une thèse sur les mouvements militants féministes et s’intéresse particulièrement aux dynamiques qui existent entre les différents groupes militants. Selon elle, la question de l’inclusion est au centre de ce rebond féministe actuel. “Quand on parle féminisme, on parle souvent des divergences au sein même de la lutte. Chaque collectif défend des intérêts et une vision particulière du féminisme. Avec l’UFIA, il y a une prise de position, celle de dire “pour la lutte contre les violences sexuelles, mettons nos différences de côté et travaillons ensemble”. C’est fort !”

Rares sont les moments de convergence des luttes dans l’histoire du militantisme féministe belge. D’après le Centre d’Archives et de Recherches pour l’Histoire des Femmes, on peut en compter deux dans les années ‘70-80 : au moment de la lutte pour la dépénalisation de l’avortement et lors de la crise économique qui a poussé le gouvernement belge à changer la législation en défaveur des chômeuses. “A ce moment-là des associations, collectifs se sont alliés, rejoints par des syndicats et des libres penseurs”, explique Els Flour, archiviste. “Il s’agit de moments charnières et annonciateurs d’années de lutte pour faire changer des législations. Ici, on parle de changer un système.”

Les réseaux sociaux, nouvelles armes des féministes pour bousculer le système

“J’ai voulu créer un contenu viral, en apparence léger et fun, mais qui véhiculait des messages informatifs et hyper sérieux en légende”, explique la militante féminisme franco-belge Anna Toumazoff. Elle est à l’origine d’un compte Instagram qui vulgarise le féminisme. “Instagram est un réseau très intéressant parce que via le système des stories, tu vas directement dans la poche des gens. Ces personnes partagent ton contenu et leur communauté va être touchée par ricochet”.

Pour Anna, les réseaux sociaux sont indéniablement les nouvelles armes des féministes. C’est elle qui a lancé en France les hashtags #ubercestover ; #sciencesporcs et plus récemment #doublepeine pour dénoncer les espaces insécurisants et les mécanismes défaillants d’accueil de la parole des victimes, aussi appelées “survivantes” suite à une agression sexuelle.

Les réseaux sociaux forment une importante caisse de résonance aux revendications féministes intersectionnelles. Ils sont aussi un endroit que s’approprient les personnes trop souvent invisibilisées par les médias traditionnels. “C’est un espace public que j’occupe”, explique Estelle Depris (Sans Blanc de Rien). Pour Pauline Grippa, “ces activistes investissent ce nouveau champ de communication, ce qui permet de visibiliser les minorités qui subissent des croisements d’oppressions”.

“Sans Instagram, nos collages féministes disparaîtraient en 24H”, s’amuse Ninon, membre de Collage Féministe Bruxelles. En compagnie d’autres “colleureuses”, elle colle dans l’espace public des slogans faits de papiers pour dénoncer, notamment, les violences sexuelles. “Ces collages sont éphémères parce que très vite arrachés. Alors pour la postérité des slogans, pour le travail des colleureuses et puis pour le montrer à un maximum de personnes, les réseaux sociaux sont essentiels”.

Estelle Depris nuance tout de même, “c’est un outil incroyable tant qu’on n’est pas opprimé par l’algorithme d’Instagram et la façon dont il priorise certains contenus”. De nouvelles armes, à double tranchant, donc.

 

Marine Guiet – Photo : Belga (archives)

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09 novembre 2021 - 18h53
Modifié le 29 novembre 2021 - 12h31