Balance ton bar : cet acquittement, “un rappel brutal que la justice, aujourd’hui encore, est incapable de protéger les survivantes”
”Que reste-t-il aux survivantes ? Si la justice ne les écoute pas, si elle refuse de les reconnaître en leur qualité de victime, si elle continue à appliquer des lois archaïques pour juger des actes contemporains, comment pouvons-nous encore avoir confiance en elle ?” Maïté Meeûs, fondatrice du compte @balance_ton_bar, a réagi ce mercredi après-midi par communiqué à l’acquittement de l’ancien serveur du Waff au bénéfice du doute. “Une décision qui révèle les lacunes du traitement judiciaire des violences sexuelles en Belgique“.
Le tribunal correctionnel de Bruxelles a acquitté ce mercredi un ancien serveur du Waff, un bar du quartier du Cimetière d’Ixelles, de deux faits de viol commis en 2021. Aucun élément, selon le tribunal, ne permet d’établir que la victime était droguée et qu’elle n’a pas pu consentir à la relation sexuelle. “Le doute devant profiter au prévenu, il doit être acquitté “.
“La justice a estimé que la preuve de la violence, de la contrainte ou de la surprise n’avait pas été rapportée, conformément à la loi applicable au moment des faits, soit celle en vigueur avant la réforme du Code pénal sexuel de mars 2022. Cette décision souligne l’écart préoccupant entre les réalités des violences sexuelles et leur traduction juridique“, réagit l’initiatrice du mouvement #balancetonbar en 2021. “Cette réforme, plus adaptée à la réalité des violences sexuelles, prend en compte le contexte entourant l’acte et la vulnérabilité des victimes, et non plus seulement la présence ou non d’une contrainte explicite. Toutefois, nous dénonçons un grave problème systémique : dans le cas où la victime ferait appel de ce jugement, c’est toujours la loi pré-réforme de 2022 qui continuerait de s’appliquer.”
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“Double peine”
Le ministère public avait requis la culpabilité du prévenu pour le viol de la victime constituée partie civile et pour le viol d’une autre jeune femme, tout en considérant que le trentenaire avait été victime d’un lynchage médiatique. Son nom et son adresse avait filtré sur les réseaux sociaux, le poussant à vivre reclus. En août 2021, plusieurs étudiantes ont raconté sur les réseaux sociaux avoir été droguées puis violées par ce serveur d’un établissement très fréquenté dans le quartier du Cimetière d’Ixelles. Ces dénonciations ont fait naître le mouvement “balance ton bar“.
“On nous répète sans cesse de laisser la justice faire son travail. Très bien. Mais quand nous laissons la justice faire, que constatons-nous ?“, poursuit Maïté Meeûs. “En Belgique, où les classements sans suite et les acquittements pour violences sexuelles font légion, le taux de condamnation effective pour les auteurs de viol avoisine 1 %. C’est ce silence judiciaire et cette impunité structurelle, qui pousse les victimes à prendre la parole sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas un choix de confort, ce n’est pas une stratégie médiatique : c’est une nécessité née face au vide laissé par les institutions. Et pourtant, lorsque les victimes brisent ce silence, elles sont accusées de participer à un “tribunal médiatique”, décrédibilisées et renvoyées à la case départ. On les encourage à libérer leur parole, puis on leur reproche d’avoir parlé. Les victimes de violences sexuelles subissent une double peine : La première lorsqu’elles sont agressées. La seconde lorsqu’elles font face à un système judiciaire qui ne les reconnaît pas, ne les protège pas, et ne leur rend pas justice.”
La substitute du procureur du Roi avait requis une suspension simple du prononcé, ce qui signifie que le prévenu serait reconnu coupable mais n’encourrait pas de peine de prison. Il devrait en revanche indemniser la victime. Le parquet estimait qu’il a déjà subi une sanction sociale assez importante. La substitute déplorait un lynchage médiatique du prévenu, estimant qu’il a déjà subi une sanction sociale énorme..
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“Cet argument est une insulte aux survivant·es. La justice ne peut ni se substituer à l’opinion publique, ni s’en remettre à elle pour sanctionner des actes criminels. Il est extrêmement grave qu’un tribunal reconnaisse un présupposé “tribunal médiatique” comme un élément de justice parallèle, d’autant plus que le nom de l’accusé n’a jamais été divulgué dans les témoignages publiés sur Balance Ton Bar. Le concept même de “tribunal médiatique” n’a aucune existence légale dans le droit belge. Il est donc extrêmement dangereux d’invoquer un tel argument pour justifier une décision judiciaire”, poursuit le communiqué.
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“Que la victime ait été en état d’ébriété, qu’elle ait continué à faire la fête, ou qu’elle ne se soit pas immédiatement manifestée avec des preuves indiscutables, tout cela ne devrait jamais servir à légitimer l’impunité des auteurs. Il est alarmant de constater une tendance récurrente à l’atténuation d’actes graves sous prétexte de circonstances extérieures.
Un viol reste un viol, indépendamment du contexte dans lequel il a eu lieu. Pourtant, nous voyons encore trop souvent une inversion des responsabilités.
Ce verdict, au-delà du cas particulier qu’il traite, est un terrible signal pour toutes les victimes de violences sexuelles. Il réaffirme que la parole des victimes ne suffit toujours pas, que la justice préfère regar ailleurs plutôt que de sanctionner, et qu’un viol peut encore être considéré comme une “zone grise” plutôt qu’un crime inacceptable. L’acquittement dans cette affaire n’est pas un simple fait judiciaire.
C’est un rappel brutal que la justice, aujourd’hui encore, est incapable de protéger les survivantes“, conclut le communiqué.
Photo Belga archives octobre 2021
- Un reportage de R. Vandenheuvel – N. Fasquel – C. De Beul