Abattage rituel : imposer l’étourdissement ne viole pas la liberté de religion, selon la Cour européenne des droits de l’Homme

L’interdiction wallonne et flamande d’abattre des animaux sans étourdissement préalable dans le cadre de rites religieux n’est pas en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu mardi matin son arrêt en ce sens, rejetant les arguments d’une vingtaine de personnalités et organisations juives et musulmanes de Belgique.

Les requérants arguaient d’une violation de leur droit à la liberté de religion et de l’article de la Convention interdisant la discrimination. La Cour ne les a pas suivis.

“En adoptant les décrets litigieux qui ont eu pour effet d’interdire l’abattage des animaux sans étourdissement préalable dans les Régions flamande et wallonne, tout en prévoyant un étourdissement réversible pour l’abattage rituel, les autorités nationales n’ont pas outrepassé la marge d’appréciation dont elles disposaient”, communique la Cour mardi. La mesure apparait “justifiée dans son principe” et “proportionnée” par rapport à l’objectif de protection du bien-être animal.

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Les requérants, parmi lesquels le grand rabbin de Bruxelles Albert Guigui et l’Exécutif des Musulmans de Belgique, avaient précédemment tenté de faire annuler les décrets wallon et flamand interdisant l’abattage rituel sans étourdissement devant la Cour constitutionnelle. Au nord comme au sud du pays, il est obligatoire depuis 2019 d’étourdir les moutons et bovins avant de les abattre pour produire de la viande halal ou kasher.

“La voie est ouverte à une interdiction”

Le ministre flamand Ben Weyts, en charge du Bien-être animal, a salué la décision “historique” mardi. Un motif de “fierté” pour les Flamands, qui ont été “des précurseurs” sur ce plan, assure-t-il. Il lance au passage un appel à la capitale, seule Région du pays où l’abattage rituel sans étourdissement est encore possible. “Non seulement à Bruxelles, mais aussi dans toute l’Europe, la voie est ouverte à une interdiction”. 

À Bruxelles, la majorité s’était fissurée, en juin 2022, sur un texte Défi-Groen-Open Vld tentant également d’y interdire l’abattage sans étourdissement. Le texte avait rassemblé les voix d’une partie de la coalition, mais avait échoué à parvenir à la majorité nécessaire.

L’organisation de défense des animaux Gaia n’a pas tardé à réagir, mardi matin. Gaia “se réjouit de l’arrêt” et entend désormais “faire pression sur la Région de Bruxelles-Capitale”, communique-t-elle. “C’est un de mes plus beaux jours depuis que je me milite pour les animaux”, ajoute Michel Vandenbosch, le président de l’organisation.

L’arrêt européen conforte l’appel à légiférer également à Bruxelles – J. de Patoul (DéFI)

Le député bruxellois DéFI, Jonathan de Patoul, s’est dit conforté, mardi, dans son combat en faveur de l’étourdissement avant abattage, après la validation par la Cour européenne des droits de l’homme de l’interdiction flamande et wallonne de l’abattage sans étourdissement préalable,.

Le député bruxellois DéFI, vétérinaire de formation, est l’auteur de la proposition d’ordonnance qui visait à obliger un étourdissement, réversible ou non, avant l’abattage d’un animal à Bruxelles. Celle-ci avait été rejetée par le Parlement bruxellois, lors d’un vote serré, en juin 2022. “Au niveau scientifique il y a un consensus pour dire qu’un animal étourdi avant l’abattage souffrira moins .Au niveau juridique, la Cour confirme qu’il n’y a pas de violation de la liberté de culte et de discrimination dans la proposition d’ordonnance que j’ai déposée. Je continuerai mon combat pour améliorer le bien-être animal partout où c’est possible”, a commenté Jonathan de Patoul, dans un communiqué.

De son côté, le ministre bruxellois en charge du Bien-être animal, Bernard Clerfayt, a dit prendre acte, sans autre commentaire, de la décision de la CEDH. Dans l’opposition, le député MR Gaëtan Van Goidsenhovern, président de l’association de protection animale Veeweyde, a dit espérer que l’arrêt rendu “dépassionnera quelque peu le débat autour de l’obligation de l’étourdissement préalable. “Les échanges tendus et traumatisants au Parlement bruxellois sur cette question ont laissé des traces. Il est temps de repositionner le débat sur la question de la réduction de la souffrance animale. Cela a d’autant plus de sens que le bien-être animal devrait prochainement être inscrit dans la Constitution”, a-t-il déclaré, interrogé par l’agence Belga.

Enfin, pour la cheffe du groupe N-VA Cieltje Van Achter, le ministre Clerfayt et le gouvernement bruxellois n’ont plus le moindre argument pour maintenir l’interdiction de l’abattage sans étourdissement en dehors du futur Code sur le Bien-être animal.

La cheffe du groupe PTB, Françoise De Smedt a dit prendre acte de “ce jugement portant sur les décrets votés en Wallonie et en Flandre. A Bruxelles, un débat démocratique a eu lieu qui a été tranché par un vote au Parlement”, a-t-elle ajouté. Aux yeux de l’élue de la formation d’extrême gauche, le débat est clos pour cette législature. Contrairement à ses homologues wallon et flamands, le parlement bruxellois a rejeté, en juin 2022, à l’aide d’une majorité alternative, une proposition d’ordonnance DéFI-Groen-Open Vld visant à interdire l’abattage sans étourdissement. Plus précisément, il avait alors validé par 42 “oui”, 38 “non” et 8 abstentions les conclusions de sa commission de l’environnement tendant au rejet de cette proposition.

Comme pressenti au cours du débat qui avait précédé le vote, hormis le PTB, aucun groupe politique francophone n’avait voté comme un(e) seul(e) homme/femme y compris parmi les co-signataires de la proposition. Chez DéFI, le rejet de la proposition DéFI-Groen-Open Vld avait été refusé par six députés sur dix et accepté par Sadik Köksal et Marc Loewenstein. Michaël Vossart et Nicole Bomele s’étaient abstenus. Les autres abstentions avaient été le fait de Viviane Teitelbaum (MR); Céline Fremault et Christophe De Beukelaer (Les Engagés); Pierre-Yves Lux (Ecolo); Khadija Zamouri (Open Vld); et Pepijn Kennis (Agora). Plus globalement, dans la majorité, les votes en faveur du rejet de la proposition avaient été majoritaires au PS (14 sur 16). Seuls Julien Uyttendaele et Véronique Jamoulle s’étaient montrés favorables à la proposition DéFI-Groen-Open Vld. Chez les Verts, cinq élu(e)s sur quinze avaient fait comme ces deux derniers (le chef du groupe John Pitseys, Ingrid Parmentier, Isabelle Peauthier, Thomas Naessens, Matteo Segers).

Les élus PTB avaient tous voté en faveur du rejet de la proposition, à l’inverse de ceux de la N-VA et du MR -hormis Viviane Teitelbaum qui s’était abstenue- opposés au rejet. Parmi les élus Vooruit, le chef du groupe Fouad Ahidar s’était prononcé pour le rejet au grand dam de son président de parti Conner Rousseau, qui avait annoncé l’éviction de l’intéressé du bureau politique du parti. Cet épisode est un de ceux qui ont contribué au départ de M. Ahidar de Vooruit.

Les communautés musulmane et juive “déçues” et “choquées” par l’arrêt de la CEDH

Les communautés musulmane et juive se disent “déçue” voire “choquée” par l’arrêt rendu mardi par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) à propos de l’abattage sans étourdissement.

Selon la Cour, l’interdiction wallonne et flamande d’abattre des animaux sans étourdissement préalable dans le cadre de rites religieux n’est pas en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’Homme. Elle a ainsi rejeté les arguments d’une vingtaine de personnalités et organisations juives et musulmanes de Belgique. “C’est avec une grande déception que l’Exécutif des Musulmans de Belgique et le Conseil de Coordination des Institutions Islamiques de Belgique prennent connaissance de l’arrêt rendu aujourd’hui à Strasbourg”, réagissent les deux organisations musulmanes mardi soir. Elles envisagent dès lors un appel devant la Grande Chambre de la Cour.

“Les libertés religieuses garanties par la déclaration universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies et la convention européenne des Droits de l’Homme sont constamment l’objet de restrictions lorsqu’il s’agit des libertés religieuses des musulmans par l’adoption des nouvelles lois et des décisions de justice qui viennent les confirmer“, dénoncent les deux organisations. “La communauté musulmane de Belgique s’inquiète et se demande jusqu’où vont encore aller ces restrictions concernant leurs libertés religieuses qui renforcent par ailleurs le sentiment de rejet et le traitement discriminatoire dont elle est victime”, ajoutent-elles.

Selon les deux organisations, la Grande Chambre pourra constater que la Cour “a ignoré à tort les obstacles fondamentaux et pratiques que l’interdiction crée pour les musulmans en Belgique.” De son côté, l’Association juive européenne (EJA) se dit “profondément choquée” par cet arrêt “qui va à l’encontre des droits de l’Homme, de la liberté de religion et de culte des juifs et des musulmans.” “La détermination implicite du verdict déformé est que les droits de ces citoyens à la liberté de religion et de culte sont encore moins importants que ceux des animaux”, critique le président de l’EJA, le rabbin Menachem Margolin, cité dans un communiqué.

“L’Association juive européenne appelle le gouvernement belge et tous les autres gouvernements et parlements du continent à prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour modifier cette décision discriminatoire à l’égard des juifs et des musulmans.” Dans une lettre envoyée aux chefs d’État européens, le “European Leader’s Forum for Combatting Antisemitism” de l’EJA appelle les gouvernements et les parlements “à promulguer les lois qui s’engagent à maintenir la liberté de religion et de culte des citoyens du continent, y compris l’abattage casher et halal.”

Belga – Photo : BX1

■ Explications de Marine Guiet 

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13 février 2024 - 11h05
Modifié le 13 février 2024 - 19h19