541 jours sans gouvernement : le monde associatif et les entreprises en crise
Sans gouvernance et sans budget, c’est tout un pan de la vie bruxelloise qui fonctionne au ralenti, souffre et est même parfois contraint de disparaître.
Le monde associatif asphyxié
Certaines associations, comme Apis (environnement) ou Projet Lama, ont déjà dû réduire leurs activités, faute de visibilité sur leurs subsides. “Vingt-trois travailleurs de terrain sont dans l’incertitude la plus complète“, témoigne Rémi Dekoninck, coordinateur du dispositif mobile Cover, qui accompagne des personnes en grande précarité.
Au sein de Bruxeo, la confédération des entreprises à profit social, le constat est tout aussi préoccupant : “L’incertitude fait fuir les talents dans un secteur déjà confronté à une pénurie de main-d’œuvre“, souligne son directeur Bruno Gérard.
Le casse-tête des douzièmes provisoires
Cette paralysie institutionnelle a aussi des conséquences administratives et humaines concrètes, explique Françoise Calonne, coordinatrice du centre de santé mentale Le 51, à Bruxelles. “Nous fonctionnons depuis des mois sur des douzièmes provisoires. Cela veut dire qu’on ne peut engager aucune dépense structurelle, ni planifier quoi que ce soit. Tout se décide au mois le mois, comme si nos activités pouvaient s’improviser.“
Les douzièmes provisoires, censés assurer la continuité minimale des services publics en l’absence de gouvernement, empêchent selon elle toute projection à moyen terme. “Impossible d’engager de nouveaux travailleurs, d’indexer les salaires, ou même d’assurer la pérennité des projets en cours. On vit dans une logique de survie permanente, en bricolant pour tenir.“
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Et les conséquences ne se limitent pas à la gestion interne : “Nos équipes sont épuisées. Comment mobiliser les travailleurs sociaux quand on ne peut rien leur garantir sur leur avenir professionnel ? Comment accueillir les patients en leur disant qu’on ne sait pas si la permanence existera encore dans six mois ? C’est tout un pan de la santé mentale à Bruxelles qui se délite lentement.“
Un risque humain majeur
Au-delà de la précarité financière, les responsables associatifs dénoncent un risque humain majeur : fermeture de services essentiels, perte de savoir-faire et rupture du lien de confiance avec les citoyens les plus fragiles. “Les besoins sociaux explosent, mais la réponse politique est bloquée. Nous avons voté, maintenant il faut gouverner”, résume Émilie Vinçotte, appelant les élus à “mettre leur égo de côté“.
Les entreprises, autres victimes de la paralysie politique
Si le monde associatif tire la sonnette d’alarme, le secteur économique bruxellois n’est pas épargné par l’absence de gouvernement de plein exercice. Dans la construction notamment, l’incertitude budgétaire et l’arrêt de nombreux marchés publics plongent les entreprises dans une situation critique. “Beaucoup d’entreprises, quelle que soit leur taille, connaissent aujourd’hui de graves difficultés, aussi bien au niveau financier qu’au niveau de l’activité“, explique Laurent Schiltz, secrétaire général d’Embuild Bruxelles-Capitale, la fédération du secteur de la construction.
“Il y a un véritable énervement, voire du désespoir, parce que beaucoup de marchés publics sont à l’arrêt, les primes Rénolution sont gelées, et même des chantiers déjà lancés ne sont plus payés.“
Des marchés bloqués, des factures impayées
Selon Embuild, plusieurs dizaines de millions d’euros sont actuellement en attente de paiement, notamment dans le cadre de projets de logements publics gérés par la SLRB (Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale).
“Les entreprises qui ont construit ces logements ne sont tout simplement pas payées“, déplore Laurent Schiltz. “Si ces factures continuent à s’accumuler, certaines sociétés risquent de ne plus pouvoir assurer leur trésorerie. On a l’impression que la Région transfère ses besoins de liquidités sur les entreprises, ce qui est inacceptable.“
Le blocage politique a ainsi un effet domino : retards de paiement, gel des chantiers, perte de confiance des investisseurs, et frein à la rénovation énergétique, pourtant essentielle pour atteindre les objectifs climatiques.
Rénolution en panne
Le gel du programme Rénolution, qui devait soutenir la rénovation énergétique des bâtiments, est particulièrement mal vécu dans le secteur. “Cela fait maintenant presque une année blanche pour les primes“, regrette le secrétaire général d’Embuild.
“C’est un problème non seulement pour les entreprises, mais aussi pour les citoyens qui attendent une aide pour réaliser leurs travaux. Beaucoup se demandent s’ils doivent continuer à investir à Bruxelles ou aller travailler ailleurs, en Flandre ou en Wallonie.“
Sans gouvernement, aucune nouvelle enveloppe budgétaire ne peut être débloquée pour relancer le mécanisme. Les acteurs du secteur redoutent que 2026 soit la première année réellement active pour de nouvelles primes, ce qui provoquerait une perte d’activité durable dans la construction.
“Un désert économique”
“La question que beaucoup d’entreprises se posent aujourd’hui, c’est : est-ce qu’on va rester avec un désert économique quand on aura enfin un gouvernement ?“, s’interroge Laurent Schiltz.
Au-delà de la construction, toute la chaîne économique régionale s’en trouve fragilisée : les sous-traitants, les architectes, les fournisseurs de matériaux ou les bureaux d’études. Sans visibilité ni paiements garantis, la confiance du secteur privé dans les marchés publics bruxellois s’effrite.
Rédaction avec Belga





