Coronavirus : voici pourquoi la Région peut vous réclamer de l’argent en cas de faillite

Les entreprises bruxelloises dont le chiffre d’affaires est impacté par la crise du Covid-19 ou par un chantier dans l’espace public bénéficient d’une prime régionale. En cas de faillite, la législation prévoit toutefois le remboursement de l’aide octroyée.

Fernando Sanchez était, jusqu’en juin dernier, gérant du restaurant “Chez Rachel , Bagels & Burgers”. L’endroit se trouve rue du Marché au charbon, dans le centre-ville. “Était” parce qu’il s’est mis en faillite et a arrêté son activité le 5 juin dernier. Cet indépendant vient d’apprendre une mauvaise nouvelle. Dans un document dont BX1 a pu prendre connaissance, la Région demande au curateur le remboursement deux primes que l’entreprise a reçues ces 10 derniers mois.

“Chez Rachel, Bagels & Burgers” a en effet bénéficié, en avril dernier, de la prime régionale de 4.000 euros octroyée dans le cadre de la crise économique liée au Covid-19. L’entreprise a également reçu, en décembre 2019, 2.350 euros dans le cadre d’une indemnisation octroyée aux entreprises dont le chiffre d’affaires est impacté par un chantier dans l’espace public. Au final, l’entreprise s’est donc vue demander par la Région bruxelloise de rembourser ces 6.350 euros.

Pour Fernando Sanchez, le coup est rude. Comme sa société est organisée en personne physique, ses biens personnels se trouvent à l’abri de toute demande de créance. Cette demande régionale pourrait quand même impacter le commerçant. Il a, en effet, prêté de l’argent à sa société. Il s’attendait à récupérer cette créance avec la vente de son fonds de commerce. “Après le paiement du salaire du juge et du curateur, des impôts pour la vente du fonds de commerce et de toutes les taxes, il était censé me rester quelque chose. Aujourd’hui, quand je me connecte à la plateforme Regsol, je retrouve une nouvelle créance et la mienne a été ‘annulée’. J’imagine pour rendre les aides.”

Le commerçant explique ne pas comprendre ce qui lui arrive. “Déjà, ce n’est pas facile une faillite, et là, il y a ça qui arrive maintenant. Je me retrouve sans rien en ayant perdu toute l’argent que j’avais investi dans mon commerce, avec une allocation de chômage de 570€ par mois. Je ne sais pas si j’ai le droit à une aide du CPAS. Mon dossier est à l’étude. Avec aussi, enfin, la santé bousillée”. Au-delà de l’argent, il y aussi le sous-entendu implicite à cette demande. “C’est comme si on sous-entendait que j’ai fait une faillite frauduleuse. Ça aussi, cela me fait mal”.

“Une ordonnance prévoit ce travail de recouvrement”

Du côté du cabinet de la secrétaire d’Etat bruxelloise de la Transition économique, Barbara Trachte, on confirme que la législation régionale prévoit un travail de recouvrement, mais on souligne qu’il ne s’agit pas de créances prioritaires. “Il y a effectivement une ordonance qui impose à l’inspection économique de faire ce travail de recouvrement en cas de faillite. Il s’agit toutefois de créances qui ne sont absolument pas prioritaires dans le cadre d’une faillite. Le curateur veille d’abord à privilégier l’ONSS, la TVA etc. Dans les faits, ce type de subsides n’est quasi jamais récupéré par la Région”.

Le porte-parole de la secrétaire d’Etat, Nicolas Roelens, précise par ailleurs que la Région modifiera certainement la législation. “Cette ordonnance ne fait de distinction entre le type de faillites et on peut estimer qu’il y a quelque chose qui n’est pas abouti là-dedans. Dans le cadre des futures réformes à envisager au niveau des outils économiques de la Région, il y a une volonté chez nous de pouvoir faire une distinction entre les faillites frauduleuses, pour lesquelles une demande de remboursement est totalement légitime, et les autres”.

Sur les 91 indemnisations régionales octroyées depuis décembre 2019 pour cause de chantier, Rachel, Bagels & Burgers s’avère le seul dossier pour lequel une demande de remboursement a été envoyée, précise encore le cabinet de Barbara Trachte. Peut-être, mais sans certitude à l’heure d’écrire ces lignes, car il s’agit du seul commerçant qui s’est déclaré en faillite.

Situation différente pour les primes communales

Les commerçants qui ont récemment bénéficié de primes communales risquent d’avoir la même mauvaise surprise? A priori non. Ganshoren et la Ville de Bruxelles, que BX1 a contactées, ne prévoient pas en tout cas de demander un remboursement. La première octroie une aide forfaitaire aux commerçants impactés par la crise du Covid-19, la second met en place une prime de 2.000 euros pour les gérants de bars et de cafés qui doivent fermer ce mois-ci.

“L’entreprise bénéficiaire ne peut pas être en faillite ni en procédure de liquidation et on analyse les bilans et les comptes de résultats de l’entreprise. On ne demande donc pas de rembourser parce qu’on a fait le travail en amont”, explique l’échevin ganshorenois des Finances et de l’Economie Locale, Stéphane Obeid (MR).

Même son de cloche du côté de l’échevin bruxellois des Affaires économiques, Fabian Maingain (Défi) : “On travaille actuellement à la méthodologie et aux critères d’attribution. La société bénéficiaire ne peut pas être en faillite, mais je peux déjà dire qu’on ne demandera pas le remboursement si cette faillite arrive un jour”.

L’UCM : “C’est très difficilement compréhensible”

Association de défense, de représentation et de promotion des indépendants, l’UCM évoque une situation “très difficilement compréhensible”. La porte-parole de l’UCM Bruxelles explique : “Si nous pouvons comprendre les anciennes normes relatives à l’octroi de subventions, force est de constater qu’en décembre, personne ne pouvait prévoir que le Covid allait arriver et détériorer considérablement l’activité de l’Horeca. Concernant l’indemnité d’avril, il est difficilement compréhensible que l’on octroie une aide pour permettre aux entrepreneurs de survivre à la crise et dans un second temps, si ils font faillite, on réclame la prime”.

La décision revient au… curateur

Spécialiste du droit commercial, l’avocat Didier Bernard confirme que la Région ne sera probablement pas considérée comme un créancier privilégié. “Je devrais voir si l’ordonnance de 2007 confère à la Région bruxelloise un privilège, mais je serais, à première vue, tenté de dire que non. Donc, elle risque d’être mise sur le même pied que les autres créanciers. Le gérant n’a pas la main à ce niveau là. C’est le curateur qui décide”.

Selon l’avocat, un des scénarios probables, c’est que le curateur procède à une répartition des actifs restants entre les différents créanciers non prioritaires. Le commerçant et la Région feraient partie a priori de cette catégorie. “Cela se ferait selon la règle du marc-le-franc, c’est-à-dire proportionnellement aux montants des créances. Imaginons deux créances, une de 10.000 euros et une de 20.000 euros, et des actifs restants s’élevant à 5.000 euros. Le premier créancier aurait un tiers, l’autre deux tiers”.

Un remboursement au moins partiel au bénéfice de la Région fait bien donc partie des possibilités. La décision revient au curateur.

Julien Thomas – Photo: BX1