Rue de la Loi : qui gagne quoi dans l’accord de Namur ?
Le monde politique retient son souffle. Jeudi soir les congrès de participation (dites assemblée générale en langage Ecolo) devront avoir validé les projets d’accord de gouvernement pour la Région Wallonne et la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce sera sans suspense au Mouvement Réformateur (les parlementaires l’ont déjà approuvé), avec un minimum de pédagogie au Parti Socialiste (il faudra consoler ceux qui croyaient à un accord possible avec le PTB) et un peu plus délicat (mais pas tant que cela, parait-il) chez Ecolo qui n’est pas arithmétiquement indispensable à la formation de ces deux majorités. Pour que les assemblées votent la participation, il faut donc convaincre que vos négociateurs ont obtenu un peu plus que l’essentiel, et que le programme proposé à vos électeurs se reflétera bien dans l’action future du gouvernement. C’est le job des présidents de parti : jouer les VRP auprès de leurs propres troupes, démontrer qu’on a été un bon négociateur et galvaniser les foules avec un discours enthousiaste. Pour cela, les rédacteurs des deux textes ont une formule magique : l’équilibre. Comprenez la possibilité pour chaque parti de retrouver des accents qui lui sont propres dans les compromis obtenus. Ces deux accords ont donc des « des ambitions sociales environnementales et économiques ». C’est l’expression employée par Elio Di Rupo en conférence de presse pour dire que tout le monde avait gagné. Le président du PS a même parlé de « chimie formidable » … et c’est un peu vrai : chaque parti a obtenu des marqueurs qui sont importants pour son électorat. Parfois dans la politique wallonne, parfois dans la politique de la fédération Wallonie Bruxelles. Petit résumé non-exhaustif et forcément subjectif.
Commençons par Ecolo puisque c’est le plus sensible. Et c’est vrai, en apparence les écologistes obtiennent beaucoup, à commencer par la réduction de 55% des gaz à effets de serre d’ici 2030 et une Wallonie zéro carbone d’ici 2050. Un symbole fort, largement mis en avant par Elio Di Rupo, médiatiquement supporté par Willy Borsus. Jean-Marc Nollet avait donc le sourire lorsque le président du PS a égrené les mesures sur l’isolation, l’énergie, les transports, la fin des routes en tous sens, des investissements pour le vélo, ou même l’encadrement du développement des aéroports. C’était le moment « jackpot vert » de la conférence de presse. Le bilan est conséquent, les verts ne repartent pas les mains vides. Avec un bémol : les objectifs sont fixés, ils sont loin d’être atteints et il faudra surtout les poursuivre pendant la législature suivante. Les militants chagrins auront donc beau jeu de dire que cela manque de dispositions concrètes, que la bascule vers un monde réellement sans carbone est impulsée mais pas implémentée et que tout cela reste flou. Pas de taxe kilométrique qui inciterait à laisser sa voiture au garage comme le souhaitait la Région Bruxelloise (mais la question reste ouverte, elle n’a pas été abordée dans ces négociations), pas d’inspection du climat qui aurait validé chaque mesure gouvernementale à l’instar de l’inspection des finances (mais un “haut conseil stratégique” qui pourra être compétent pour le climat comme pour la pauvreté), une « assemblée du futur » (avec des citoyens tirés au sort) qui sera « étudiée » et non implémentée. Bref, le texte final est en recul sur plusieurs points par rapport à la note coquelicot (et c’est normal, puisqu’il a fallu tenir compte des réformateurs) et on pointera en particulier le dé-cumul des fonctions échevin-bourgmestre et député régional, abandonné : la Région Wallonne n’ira pas aussi loin que la Région Bruxelloise (qui appliquera le dé-cumul intégral lors des prochaines élections). Bref, du point écologiste, le verre wallon est à moitié plein mais certains verts pourraient aussi le voir à moitié vide. Sauf surprise, ils devraient être minoritaires et le oui à la participation a la faveur des bookmakers.
Pour les autres partis, vous avez déjà compris qu’il ne faudra pas ajouter de sucre pour faire passer la pilule. Le Parti Socialiste peut mettre en avant la mise sur le marché locatif wallon de 12 000 logements sociaux (dont 3000 nouveaux logements, 3000 rénovation et le reste par l’intermédiaire des agences immobilières sociales) d’ici la fin de la législature, mais aussi la gratuité « progressive » dans les TEC, les transports en commun wallons, pour les moins de 25 ans ou les plus de 65 ans. On notera aussi le maintien du pacte d’excellence, ou encore l’augmentation des repas chauds gratuits en matière d’enseignement.
Le Mouvement Réformateur obtient l’abandon du décret inscription, même si on ne sait très bien par quoi il sera remplacé, des investissements pour la formation en alternance, le report de 5 ans de la taxe « prosumer », qui devait frapper les propriétaires de panneaux photovoltaïque, un thème très sensible en Wallonie ou encore une réduction du précompte immobilier.
Enfin il y a les mesures que tout le monde peut revendiquer : l’augmentation du taux d’emploi (objectif : passer de 63,7 à 68,7% en 5 ans), l’engagement à ne pas lever de nouvelle taxe, le retour à l’équilibre en 2024 et un peu de souplesse vis-à-vis des règles européennes. Tout le monde gagnant ? Oui. Comme chez Jacques Martin. Mais comme en Région Bruxelloiss c’est dans l’exécution de l’accord qu’on découvrira la réalité des rapports de force. Lorsqu’il faudra procéder aux arbitrages budgétaires. Lorsqu’il faudra rédiger le nouveau décret inscription. Mais nous n’en sommes pas là. Pour l’instant seule l’opposition a clairement perdu. Le CDH parce qu’il peut dire au revoir à son assurance autonomie. Le PTB parce qu’il dénonce le « retour des recettes libérales » et un accord qui vire au bleu mais qu’on lui rétorquera qu’il avait la possibilité d’assurer l’ancrage à gauche de la Wallonie mais qu’il s’y est refusé. L’un comme l’autre auront leur revanche. L’accord de gouvernement c’est le moment de grâce d’une nouvelle équipe. La législature dure 5 ans.