L’édito de Fabrice Grosfilley : garder l’estrade dans l’amphithéâtre

Remettre l’église au milieu du village, ou plutôt l’estrade au centre de l’amphithéâtre pour utiliser une image plus appropriée. Hier soir, le conseil des rectrices et recteurs d’université a publié un nouveau communiqué au sujet du décret paysage. Un texte tombé trop tard pour se retrouver dans les quotidiens du matin, mais qui prend en compte les derniers évènements, avec le vote d’une proposition de décret en commission de l’enseignement supérieur, c’était mardi, et aussi l’énorme brouhaha politique qui s’en est suivi.

Le conseil des recteurs et rectrice commence donc par appeler au calme et à la sérénité : “Vu les échéances importantes à venir pour les établissements et les étudiants et étudiantes.” En clair, laissons les étudiants se concentrer sur leurs examens et ne racontons pas n’importe quoi. Le conseil regrette par ailleurs toujours en préambule l’absence du recul et de chiffres fiables qui seraient nécessaires à une discussion informée sur les effets de cette réforme.

Le plus important se trouve dans le deuxième paragraphe. Tout en soutenant le décret paysage dans sa mouture actuelle (dit “décret Glatigny”) et son utilité, le conseil des recteurs se dit conscient des difficultés que ce décret implique pour certaines cohortes d’étudiants. Il considère donc que pour répondre à ces situations d’urgence, “la mise en œuvre d’une phase de transition, d’une instruction spécifique des situations particulières, et d’un assouplissement des conditions de ‘finançabilité’ en cas de réorientation vers un autre type d’enseignement sont de bonnes solutions”. Bonnes solutions est écrit en toutes lettres dans le communiqué. C’est une pierre dans le jardin de ceux qui estiment qu’on devait maintenir le décret paysage dans sa forme actuelle sans autre initiative. Oui il fallait faire quelque chose. Non, les recteurs ne souhaitent pas qu’on reste inactif et qu’on ferme les yeux sur la situation difficile que vivent certains étudiants.

En revanche là où le conseil des recteurs s’éloigne de la proposition votée au Parlement, ou demande en tout cas des précisions c’est sur la dispositions des 45 crédits. Il est prévu que les
étudiants qui ont acquis ou valorisé au moins 45 crédits (et non plus 60) lors du premier cycle soient considérés comme finançables. On précise bien que “finançable” veut dire qu’on peut continuer à étudier, pas qu’on a décroché son diplôme, les crédits manquant restant à acquérir. Les étudiants (et ceux qui suivent ce dossier de près et avec bonne foi) le savent, mais les recteurs trouvent utile de le préciser. Ils jugent par ailleurs qu’appliquer cette mesure aux étudiants qui ont souffert des conséquences de la période Covid est discutable, qu’on aurait pû atteindre l’objectif grâce au travail des jurys qui auraient pu délibérer et ternir compte du parcours individuel de chaque étudiant.

“Si la disposition dite « des 45 crédits » devait néanmoins être adoptée, il est impératif qu’elle le soit explicitement pour une seule année insistent donc les recteurs. À notre connaissance, c’est bien le cas, le texte adopté en commission mardi parle d’un assouplissement pour l’année 2024-2025, c’est explicitement rappelé dans l’article 3 qui parle de ces 45 crédits, mais peut-être qu’il faut le redire plus clairement encore et que les recteurs et rectrices appellent ainsi PS et Ecolo à être plus clairs sur la question. On parle bien de règles exceptionnelles pour cette année, et pas de nouvelles règles, qui reviendraient à détricoter le décret paysage. Une clarification explicite serait donc la bienvenue.

Enfin, le Conseil des recteurs souligne que le refinancement de 5 millions que l’amendement propose est “un geste à ne pas négliger dans la situation budgétaire” mais qu’il est clairement insuffisant. Si on veut vraiment aider et accompagner les étudiants c’est un refinancement de l’enseignement supérieur dont il faudrait parler. La réaction des recteurs était attendue, elle est désormais connue. Elle demande effectivement quelques clarifications et fait part de l’un ou l’autre doute. Mais elle est très très loin des cris d’horreurs que certains leur attribuait. Très très loin de l’énervement qu’on peut lire ou entendre sur les réseaux sociaux ou les plateaux de télévisions. L’effet d’estrade lié à la campagne électorale qui pousse à amplifier et caricaturer n’y est pas pour rien.  Quand on veut faire de la politique gouvernementale, quand on veut en parler, la commenter, ce qu’on adore tous faire, écouter l’avis des acteurs de terrain, le prendre en considération dans son entièreté, et pas seulement en sortir un bout de phrase qui irait dans le sens qui nous intéresse, ce serait un premier pas vers un une forme de rigueur et d’efficacité dans la manière de résoudre les problèmes, ce qu’on appelle parfois la bonne gouvernance… voir un premier pas vers un minimum d”honnêteté intellectuelle.

Fabrice Grosfilley