Rue de la Loi : le miroir déformant de Joachim Coens
Si on n’arrive pas à former un gouvernement fédéral, pourquoi ne pas confier les clefs de la maison Belgique aux coalitions régionales : c’est l’idée qui est défendue ce matin par Joachim Coens, le président du CD&V dans le journal flamand De Morgen. “Une coalition miroir” comme il appelle cela, serait donc une coalition où l’on trouverait la majorité flamande (N-Va, CD&V et Open VLD) et la majorité wallonne (PS, MR, Ecolo).
Sur le papier, cela pourrait être séduisant : toute idée qui peut nous aider à sortir du blocage actuel est bonne à prendre et ne peut être écartée à priori. Mais si on creuse un peu, cette proposition du CD&V est quand même étonnante : elle consacre l’idée que le cœur du pouvoir a désormais glissé vers les régions. Que ce qui compte serait d’abord de former des gouvernements régionaux dont on ne ferait ensuite qu’un copier-coller pour le niveau belge. Ça, c’est une petite révolution, l’entrée en douceur dans un système confédéral qui ne dit pas son nom. Sur le fond, cette coalition miroir ne résout aucun des problèmes qui sont aujourd’hui sur la table. Par exemple, comment faire gouverner ensemble le PS et la N-VA ? Quand l’un veut augmenter les pensions et les minimas sociaux, refinancer la justice et la sécurité sociale, alors que l’autre veut surtout diminuer le budget de l’Etat fédéral et régionaliser la justice et les soins de santé ? Comment concilier la demande d’évolution communautaire de la N-VA avec la position du Mouvement Réformateur qui n’est demandeur de rien et prône le statu quo communautaire ? Comment encore concilier les demandes d’Ecolo qui est au pouvoir en Région wallonne et demande une politique climatique ambitieuse, avec le climato-relativisme, pour ne pas dire le climato-scepticisme qui s’exprime parfois dans les rangs de la N-VA ? La coalition miroir ne trouve de solution à aucun des grands problèmes auxquels nous sommes confrontés, elle ne réduit pas l’écart grandissant qui existe entre les partis politiques sur ces questions centrales. Elle règle juste une répartition des postes ministériels, la pire manière de faire de la politique. On pourrait se regarder longtemps dans le miroir avant que les 6 partis politiques concernés se mettent d’accord.
Il y a une autre raison de se méfier cette idée du miroir : elle nie complètement l’existence de la Région bruxelloise. Ce dont parle Joachim Coens, c’est donc de faire monter au fédéral les partis qui siègent au gouvernement flamand et au gouvernement wallon. Pas question pour lui d’incorporer Défi, Groen ou le sp.a qui sont pourtant dans la majorité bruxelloise. Pas question non plus de se soucier des Germanophones. Ce que propose Joachim Coens, c’est une Belgique cogérée par deux communautés. De là à imaginer que l’étape suivante est la cogestion de Bruxelles, il n’y a qu’un pas. Ce qui était autrefois le programme de la N-VA est devenu le scénario du président du CD&V.
Les réactions furent donc vives et immédiates côté bruxellois. Ahmed Laoueej (PS) sur le site du Soir : “Le discours du CD&V est tout sauf un discours d’apaisement. Nier l’existence d’une des trois Régions, c’est le contraire d’un fédéralisme de maturité, c’est créer des tensions et, dans le contexte, c’est très inquiétant.” Philippe Close (PS), interrogé par l’agence Belga, dit qu’il a l’impression d’assister à un règlement de compte au CD&V. Et Rudi Vervoort (PS) appelle sur Twitter au “respect de la réalité institutionnelle belge et de l’existence de la région de Bruxelles capitale” tandis qu’Elke van den Brandt (Groen), ministre bruxelloise de la Mobilité, s’adresse toujours sur Twitter à Joachim Coens : “Nous aussi, à Bruxelles, nous voulons un gouvernement rapidement, mais notre pays est plus que la somme de deux gouvernements.”
Il y a deux semaines, un élu néerlandophone, Guy Vanhengel (Open VLD), mettait en garde contre une sorte de pensée unique côté flamand. Ce que pense la N-VA, c’est ce que finit par penser tout le monde, “c’est le nouveau normal, il n’y a plus de débat“. Ceux qui s’étaient dit ce jour-là que Guy Vanhengel avait eu la parole un peu lourde doivent se rendre à l’évidence. Les partis flamands n’ont pas beaucoup de considération pour la singularité bruxelloise. Nous, Bruxellois, sommes une portion négligeable.
La coalition miroir, c’est la négation d’une région qui pèse plus d’un million d’habitants. Une région bilingue avec ses particularités, ses aspirations. Une région où les électeurs ne votent pas tout à fait comme dans les autres régions, et où les partis politiques ne défendent pas tout à fait le même programmes que leur parti frère dans les autres régions. Tout ça, Joachim Coens, en bon Anversois, fait mine de l’ignorer. Il n’est sans doute pas le seul. Il offre du côté de la Belgique d’aujourd’hui, un miroir particulièrement déformant.