L’édito de Fabrice Grosfilley : les syndicats face à l’usure du temps

Un conflit social peut-il faire bouger les choses quand il s’inscrit dans la durée ? C’est la question qu’on peut se poser ce matin après la nuit agitée au dépôt Delhaize de Zellik. La police est intervenue pour faire sortir des camions de produits frais bloqués par des grévistes. Huit camions ont ainsi pu rejoindre les magasins, alors que plusieurs dizaines sortent de ce dépôt en temps normal. Intervention musclée, dénoncent les syndicats. Ce centre de distribution, c’est l’un des points centraux de la logistique pour le groupe Delhaize. Un centre qui avait déjà été bloqué il y a deux semaines. Hier soir, les syndicats ont donc voulu faire monter la pression d’un cran en le bloquant à nouveau. La direction a mobilisé un huissier de justice et fait intervenir la police. Quand le dépôt est bloqué, les rayons des magasins se vident. Les syndicats, comme la direction, connaissent la musique.

Ce regain de tension illustre l’impasse dans laquelle se trouvent toujours les négociations malgré la nomination d’un conciliateur social. Il illustre aussi le lent effritement progressif du mouvement social. Hier, 44 magasins restaient fermés sur un total de 128. Le mouvement reste plus suivi en Région bruxelloise avec seulement 2 magasins ouverts sur 22, mais en Wallonie et surtout en Flandre la tendance est à la réouverture. C’est sans doute le pari de la direction de Delhaize… Qu’au final, le conflit perde en intensité, que les employés du groupe, les caissières, réassortisseurs, chefs de rayon, manutentionnaires reprennent peu à peu le travail. C’est donc, en effet miroir, la crainte des syndicats : perdre l’avantage que leur confère le blocage des magasins. Cette pression sur le chiffre d’affaires de Delhaize qui pourrait contraindre une direction qui n’en a pas la volonté de quand même finir par négocier.

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Ce blocage dans la durée, pour Delhaize, n‘est pas sans rappeler ce qui se passe en France sur la réforme des retraites. Ce n’est pas la même échelle, ce n’est pas le même interlocuteur, un gouvernement, ce n’est pas un grand groupe de la distribution, et ce n’est pas le même problème. Mais on se trouve là aussi avec des syndicats qui mobilisent d’un côté, et un partenaire de négociation qui refuse de céder à leurs revendications de l’autre. Hier, la réunion que la Première ministre Elisabeth Borne a tenté d’avoir avec les syndicats français a tourné court. Moins d’une heure et demie, aucune avancée, ou plutôt aucun recul (c’est toujours une question de point de vue) du gouvernement sur son projet de réforme des retraites. Les syndicats ont clairement parlé d’échec en sortant, certain osant même l’expression de “crise démocratique.”

Notre dossier complet sur le conflit social chez Delhaize

Crise démocratique en France, crise de la franchise en Belgique, où l’objectif est de faire glisser des emplois d’une commission paritaire à l’autre pour faire baisser les coûts salariaux, avec la crainte que le procédé se répète entreprise après entreprise. On peut tirer quelques parallèles entre ces deux conflits majeurs : d’abord le front commun des syndicats qui se retrouvent tous unis avec le même mot d’ordre. Ensuite, le refus de négocier de ceux à qui ils s’adressent : la décision vient d’en haut, elle est prise sans réelle concertation et elle n’est pas discutable. On notera un certain soutien de l’opinion publique aussi. Et enfin le risque de perdre la bataille en s’inscrivant dans un conflit de longue durée. En France comme en Belgique, le temps joue contre les protestataires. Le gouvernement français comme la direction de Delhaize l’ont bien compris qui restent stoïques face aux protestations. Cela doit pousser les syndicats à trouver, de façon urgente, une autre manière de protester pour arriver quand même à infléchir le rapport de forces et contraindre la partie adverse de son intérêt à négocier.

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Fabrice Grosfilley

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06 avril 2023 - 10h59
Modifié le 06 avril 2023 - 10h59