L’édito de Fabrice Grosfilley : tout reporter sur les communes

C’est une mécanique bien huilée.
Mais une mécanique qui, à force de tourner, finit par se gripper et faire grincer des dents. À chaque grande réforme fédérale – sociale, fiscale, budgétaire – on nous promet un système plus efficace, plus juste, plus responsabilisant. Et puis, quelques semaines ou quelques mois plus tard, on découvre  que si le fédéral décide… ce sont les régions ou les communes qui paient.

Avec la limitation des allocations de chômage à deux ans, ce sont des milliers de personnes qui, demain, se retrouveront à pousser la porte de leur CPAS. À Bruxelles, on parle de 40 000 personnes qui perdront leurs allocations de chômage dans le courant de l’année prochaine. Combien seront-ils à se tourner vers les CPAS pour demander le revenu d’insertion ? 10 000 ? 13 000 ? 15 000 ? 20 000 ou plus ?

Derrière ces chiffres, il y a des êtres humains qui cherchent à se nourrir, se loger, se vêtir et vivre dignement. Et derrière ces demandes, des dossiers, des travailleurs sociaux, des assistants, des locaux supplémentaires pour mener des entretiens, du temps de travail… Une addition qui pourrait dépasser les 150 millions d’euros par an, rien que pour les 19 CPAS bruxellois.

Alors bien sûr, la ministre en charge de l’Aide sociale au gouvernement fédéral, Anneleen Van Bossuyt, promet des compensations. Une série de mécanismes de remboursement, un doublement temporaire de l’aide par dossier : tout cela a été validé par un vote à la Chambre hier. Sur le papier, la ministre se veut donc rassurante.

Sauf que pour 2025, première année de mise en place de cette réforme, les 26 millions promis ne sont toujours pas débloqués. L’arrêté royal est « prêt », dit la ministre, il pourrait être validé lors d’une prochaine réunion du gouvernement fédéral. Il faudra ensuite trouver une solution pour 2026 où 300 millions ont été annoncés. Là, le gouvernement de Bart De Wever est empêtré dans une impasse, à tel point qu’on se dirige tout droit vers des douzièmes provisoires en 2026. L’argent pour les CPAS pourrait ne pas être débloqué en janvier, ni en février… et peut-être jamais si le gouvernement tombe.

Mais les exclusions du chômage, elles, seront une réalité dans sept semaines.

À travers cette limitation du chômage à deux ans, c’est la question du rapport entre les différents niveaux de pouvoir qui est posée.
C’est une pratique politique qui tend à se répéter : faire reposer la facture sur les pouvoirs locaux. Les CPAS sous pression, les zones de police sous-financées… Le local court après le fédéral pour rattraper les pots cassés.

À Bruxelles, onze communes sur dix-neuf sont sous plan d’assainissement. On a déjà arrêté de remplacer certains membres du personnel, réduit les subsides, freiné des investissements. On remonte les barèmes de l’impôt sur les personnes physiques ou de la taxe foncière, la taxe de stationnement ; on introduit de nouvelles taxes sur les kots étudiants, sur les bars à chicha.

Le fédéral décide, mais ce sont les bourgmestres qui doivent annoncer les mauvaises nouvelles.
Et au passage, c’est la relation de confiance entre le citoyen et le niveau de pouvoir le plus proche, le plus concret, qui s’érode.

C’est sans doute le point le plus inquiétant : les communes étaient encore le dernier niveau politique à garder une image positive. Si elles deviennent les porteuses de mauvaises nouvelles liées à des décisions qu’elles n’ont pas prises, si elles ne parviennent plus à remplir le service public que les citoyens attendent, alors c’est l’ensemble du système politique qui vacille.

« Responsabiliser » : c’est le verbe magique qu’on entend dans la bouche des décideurs. Très bien. Responsabilisons donc.
Mais comment un pays peut-il fonctionner si le pouvoir qui agit n’est pas celui qui paie, et si celui qui paie n’a pas son mot à dire ?

Dans une démocratie saine, les responsabilités doivent être alignées.
Aujourd’hui, elles ne le sont plus.
Et ce n’est pas seulement un problème budgétaire.
C’est un problème démocratique.

Fabrice Grosfilley 

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