L’édito de Fabrice Grosfilley : la guerre hybride a débarqué
Quarante vols retardés ou annulés. Des lits de camp installés dans l’aéroport. Des atterrissages détournés vers d’autres destinations. Un espace aérien finalement totalement fermé à tout trafic. Il a flotté hier soir comme un parfum de guerre froide dans le ciel de Belgique.
Brussels Airport, paralysé. Liège, à l’arrêt. Pas à cause d’un orage, ni d’une grève, ni d’une panne informatique géante comme il y a un mois, lorsque le prestataire Collins Aerospace avait été victime d’une cyberattaque. Cette fois-ci, la menace venait du ciel : la présence de drones non identifiés aux abords même de l’aéroport.
Des engins qui ont survolé à basse altitude plusieurs zones sensibles du pays : les aéroports de Bruxelles et de Liège, mais aussi les bases militaires de Kleine-Brogel et de Florennes.
Alors bien sûr, on ne sait pas encore exactement qui en est responsable. Mais tous les regards se tournent vers la Russie. Comme une évidence, ou du moins une hypothèse sérieuse.
Car ces survols simultanés, coordonnés, au-dessus d’infrastructures stratégiques, ressemblent fort à ce que les experts appellent une opération de guerre hybride : une manœuvre de déstabilisation, un test de vulnérabilité, un message à peine voilé.
Nous avons les moyens de pénétrer votre territoire. Nous collectons des informations sensibles sur vos sites stratégiques. Nous pourrons frapper le moment venu.
On rappelle qu’à l’aéroport de Bruxelles, outre l’aéroport civil que tout le monde connaît, se trouve aussi un aérodrome militaire : le site de Melsbroek.
Plusieurs hangars y abritent des appareils de la Défense, en maintenance ou en attente de décollage. C’est également de là que partent et atterrissent les vols des autorités belges — le roi, le Premier ministre, les ministres.
Ce scénario de l’intimidation se répète. Ces derniers mois, la Norvège, la Suède, le Danemark, la Pologne, l’Allemagne — la France aussi — ont rapporté des survols similaires.
Des drones, parfois militaires, parfois civils modifiés, qui apparaissent soudainement au-dessus de centrales électriques, d’installations portuaires ou de dépôts d’armes, puis disparaissent sans laisser de traces.
Hier soir, les autorités belges ont appliqué le protocole suivant : suspension immédiate du trafic aérien à Zaventem, à deux reprises, puis également à Liège, avant de fermer l’intégralité de l’espace aérien.
À l’aéroport, cela signifiait lits pliants dans le terminal, distribution de repas pour ceux qui attendaient une correspondance et se retrouvaient coincés, recherche d’un itinéraire en train ou en bus pour rejoindre leur destination prévue.
L’obligation de faire face à l’imprévu, qui génère plus que de l’inconfort : un sentiment d’insécurité, de vulnérabilité, qui pèse sur la psychologie de la population civile.
Cette angoisse repose sur une réalité : les pays de l’Union européenne ne sont aujourd’hui pas capables d’empêcher l’incursion de ces drones.
Depuis quelques années, ces armes sont partout : en Ukraine bien sûr, mais aussi à Gaza, au Yémen… dans tous les conflits, en fait.
Piloté à distance ou entièrement automatisé, un drone, c’est un œil qui observe, mais aussi une main invisible qui peut semer la panique en tirant des coups de feu.
Le fait que l’auteur de la menace ne soit pas clairement identifié ajoute à l’incertitude. Est-ce la Russie ou l’un de ses alliés ?
Des groupes qu’elle financerait en sous-main ? D’autres opérateurs, non liés à un État, mais mus par d’autres objectifs ? Pour l’instant, aucune certitude.
La Belgique, comme d’autres pays européens, dispose de radars civils et militaires capables de détecter des aéronefs, mais pas toujours ces petits objets volants, rapides, discrets, souvent fabriqués en série pour quelques centaines d’euros.
Les autorités belges vont donc devoir très rapidement se poser une série de questions visiblement négligées ces derniers mois : en cas d’incursion, qui décide de l’interception ? Qui donne l’ordre de tirer, et avec quels moyens ?
Le ministre de l’Intérieur, Bernard Quintin, a demandé la réunion d’un Conseil national de sécurité.
Et nous, simples citoyens — passagers potentiels d’un avion cloué au sol ou simples spectateurs — basculons peu à peu dans un monde que nous ne connaissions pas.
Un monde où nous ne sommes pas encore en guerre, certes.
Mais où nous ne sommes, aujourd’hui, plus totalement en paix.
Fabrice Grosfilley





