L’édito de Fabrice Grosfilley : la démission contrariée de Sven Gatz

Rocambolesque, voire pathétique

Rocambolesque, voire pathétique, avec des arrière-pensées politiques et en partie communautaires.
C’est ce qu’on pourrait dire ce matin de cette démission pas encore actée du ministre du Budget de la Région bruxelloise, Sven Gatz.

Pour bien décortiquer ce nouvel épisode de la crise politique que traverse la Région bruxelloise, il faut sans doute distinguer plusieurs niveaux de lecture.

Le niveau humain

Le premier, c’est le niveau humain. Le souhait de Sven Gatz de pouvoir être déchargé de sa fonction de ministre.
Sven Gatz l’avait déjà annoncé après les élections de juin 2024, il était venu en parler dans le studio de BX1 : il ne voulait plus être ministre et aspirait à devenir simple député.

Un an et demi plus tard, ce souhait de faire un pas de côté est encore plus grand. Sven Gatz souffre de problèmes de santé, il a passé de longues semaines à l’hôpital, victime d’infections. Il aspire au repos, et c’est tout à fait respectable.

“Même en affaires courantes, Bruxelles mérite des dirigeants qui peuvent s’investir pleinement. Ma santé, mise à rude épreuve depuis un an déjà, ne me le permet malheureusement plus”, expliquait-il hier matin.

Sven Gatz a donc envoyé hier matin un mail aux membres du gouvernement en affaires courantes pour annoncer sa démission.

Le niveau politique

À ce premier niveau de lecture humain et parfaitement respectable, on doit ajouter un niveau politique.
Sven Gatz, c’est le ministre du Budget. Il doit donc porter une partie de la situation budgétaire de la Région bruxelloise sur ses épaules, même si la responsabilité est évidemment collective et incombe aussi aux autres partis de la majorité sortante.

Il y a une semaine encore, ce ministre était fortement mis en cause par deux journaux — De Tijd et Brussels Today — pour sa gestion du budget régional.

Les deux journaux affirmaient que la présentation des chiffres, déjà peu reluisants, ne reflétait pas la réalité, et que le déficit de la Région serait en réalité plus important que ce que l’on disait.

En clair, Sven Gatz et son administration étaient à demi-mot accusés d’avoir embelli la situation.
Plusieurs partis d’opposition réclamaient donc des explications.

Pour l’Open VLD de Frédéric De Gucht, qui veut justement “laver plus blanc que blanc” en matière budgétaire, écarter Sven Gatz, c’est aussi écarter celui qui rappelle à tout le monde que non, l’Open VLD n’est pas pour rien dans la débâcle budgétaire actuelle.

Avant Sven Gatz, il y a eu Guy Vanhengel, Jean-Luc Vanraes, Annemie Neyts… En réalité, cela fait 25 ans, un quart de siècle, que les libéraux flamands occupent le poste de ministre du Budget en Région bruxelloise.

Pour cacher ce déficit que je ne saurais voir, et tenter d’imposer une ligne plus radicale, éclipser le ministre était une tentation à laquelle l’Open VLD n’a pas résisté.

Le niveau communautaire

Le troisième niveau de lecture est communautaire. Et là, on va, je m’en excuse par avance, entrer dans les subtilités de la loi spéciale qui organise les institutions bruxelloises.

Hier matin, Sven Gatz a donc envoyé ce qui pourrait s’apparenter à une lettre de démission. Comment remplace-t-on un ministre démissionnaire ? En installant un nouveau ministre qui doit théoriquement se présenter devant le Parlement et obtenir un vote favorable, à la fois de l’ensemble du Parlement et dans chaque groupe linguistique. C’est ce qu’on appelle la double majorité.

Sauf qu’à l’Open VLD, on avait imaginé une autre procédure : celle de la motion de défiance.

Pour une motion de défiance, pas de vote de l’ensemble du Parlement : seul le collège linguistique du ministre concerné est impliqué, ici, le collège néerlandophone.

Il faut que la motion propose le nom d’un successeur au ministre que l’on souhaite remplacer ; elle doit recueillir les signatures d’une majorité de députés du collège concerné, et cela doit ensuite être confirmé par un vote.

Avec la motion de défiance, les francophones n’ont donc rien à dire : tout se passe entre néerlandophones.

Hier matin, l’Open VLD pensait avoir les signatures nécessaires. En fin de journée, ce n’était plus tout à fait le cas. L’Open VLD, outre Groen et Vooruit, qui négocient sur le budget et pourraient faire partie de la future majorité, pouvait compter sur le soutien de la N-VA.

Et puis patatras : une partie des députés, dont Pascal Smet, ont fait savoir qu’ils retiraient leur signature.
Avec la N-VA, cela devenait très politique. Il était demandé à l’Open VLD d’ouvrir la signature à tous les groupes du collège néerlandophone, y compris Team Fouad Ahidar et le PVDA le pendant néerlandophone du PTB).

“Ne transformons pas un problème humain en coup politique. Il faut que la décision soit prise à l’unanimité si on veut qu’elle ne soit pas considérée comme machiavélique.”

Le grain de sable

Vous avez là donc trois niveaux de lecture. Et il faut y ajouter un grain de sable, celui qui a bloqué toute l’opération.

Puisqu’il avait envoyé un mail qu’on pouvait assimiler à une lettre de démission hier matin, Sven Gatz ne pouvait plus être considéré hier midi comme un ministre en plein exercice. On ne pouvait donc plus le soumettre à une motion de défiance.

Excès de confiance, amateurisme, incompétence juridique, manque de communication… en tout cas le grain de sable est là.

Il a donc fallu que Sven Gatz fasse un deuxième courrier, dans lequel il expliquait qu’il n’était pas tout à fait démissionnaire et qu’il souhaitait que la procédure imaginée par son parti puisse s’appliquer. Sven Gatz a donc déposé puis repris sa démission.

Le vote de la motion de défiance n’est plus tout à fait garanti. Et la politique bruxelloise atteint un niveau de vaudeville que même les analystes ou commentateurs les plus tortueux, comme moi, n’avaient pas encore imaginé.

BX1
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