L’édito de Fabrice Grosfilley : le budget, ce n’est pas que de l’économie
Elle fait mal, l’équation budgétaire. Quelle que soit la direction dans laquelle nous portons notre regard ces derniers jours, on ne parle d’ailleurs que de ça, à tous les niveaux de pouvoir. Des économies à faire, des projets à reporter, réduction, restriction, modération. À la Région bruxelloise, en Flandre, dans les communes, au fédéral, à la Fédération Wallonie-Bruxelles aussi. Pour ce niveau de pouvoir, qui concerne notamment l’enseignement et la culture, les discussions entre ministres sont en cours. Elles vont se poursuivre dans les jours et semaines à venir. Objectif : réduire le déficit de 300 millions d’ici à 2029. Il faut dire que la Fédération est lourdement endettée : 14 milliards d’euros à rembourser aux banques et organismes prêteurs.
C’est dans ce contexte que le gouvernement d’Élisabeth Degryse a commandé un rapport à une dizaine d’économistes sur l’état des finances de la Fédération, et sur les pistes d’économies à envisager. Le rapport est arrivé : 41 pages qui parlent d’extrême urgence et de priorité absolue. « Sans correction substantielle, la trajectoire budgétaire actuelle mettra en grave danger le financement de la FWB », écrivent les économistes, qui appellent les décideurs à « accélérer » le rythme des économies. En clair, une question de vie ou de mort.
Après l’avertissement, les économistes proposent des remèdes. Au malade mal en point, on propose une thérapie de choc. Dans leur viseur : le monde de l’enseignement. Les experts préconisent ainsi d’augmenter la charge horaire des enseignants, mais aussi de limiter le nombre de petites classes, ou encore de diminuer le nombre de cours pour les élèves. Le comité d’experts pointe aussi les conséquences financières de la réforme de la formation initiale des enseignants qui, allongée d’un an, leur donnera droit à une rémunération plus élevée, ce qui coûtera au moins 500 millions par an. Le passage des enseignants en contrat à durée indéterminée est également critiqué : il coûtera plus cher que le statut actuel. En revanche, les économistes plaident pour le maintien des réformes prévues par le Pacte d’excellence, en particulier l’allongement du tronc commun, qui permettra de réduire le nombre d’enseignants.
Vous l’avez compris, toutes ces propositions — qui ne sont pour l’instant que des pistes — sont potentiellement explosives. Elles sentent le soufre socialement et politiquement. Le monde de l’enseignement n’est d’ailleurs pas le seul visé. Les économistes proposent par exemple de réduire le nombre de centres Adeps, d’inciter les théâtres et salles de spectacle à augmenter leurs tarifs ou encore de réduire la dotation de la RTBF.
Comme ils sont lucides malgré tout, les économistes notent, compte tenu des impacts sociaux que ces pistes d’économies représentent, la nécessité d’élaborer un plan de transition sociale soutenable pour les organisations concernées.
C’est effectivement une des difficultés auxquelles nos gouvernants seront confrontés dans les années à venir. Les véritables économies ne sont possibles que lorsqu’on pense les réformes à long terme. Dans un premier temps, une réorganisation, une fusion, une refonte, cela coûte de l’argent. Il faut donc que le politique se donne le temps de réussir les réformes structurelles qui l’attendent. Il faut aussi que les responsables politiques gardent en tête l’intérêt général. Cet intérêt ne se limite pas au seul prisme économique et budgétaire. Si l’on ne raisonne qu’avec des chiffres, et qu’on veut toujours dépenser moins, on finira par fermer tous les services de l’État. C’est peut-être le projet idéologique qui anime certains de nos élus, ou de leurs conseillers. Mais ce n’est malgré tout pas sur ce programme qu’ils ont reçu un mandat des électeurs. Nos élus sont aussi comptables de la paix sociale, de notre santé, de notre qualité de vie, de la qualité de notre environnement et de notre capacité à offrir à nos enfants un enseignement qui leur permettra de se créer un futur.
Nous sommes sous pression budgétaire, c’est vrai. Nous devons en tenir compte, bien sûr. Mais il faut le faire avec suffisamment d’intelligence et de vision, pour ne pas détruire ce qui doit être maintenu, et pour aussi être capables d’affronter les autres défis qui se posent à nous. Et de la compétition commerciale à la sécurité, en passant par la transition climatique et l’intelligence artificielle, ils sont plutôt nombreux.





