L’édito de Fabrice Grosfilley : militaires devra rimer avec temporaire
Faut-il ou pas déployer des militaires dans les rues des grandes villes ? La proposition portée par le ministre de l’Intérieur Bernard Quintin a reçu l’aval du gouvernement Arizona et du ministre de la Défense Théo Francken, en particulier. De quoi parle-t-on précisément ? Interrogé vendredi soir sur BX1, le ministre de l’Intérieur évoquait des patrouilles mixtes, comprenant donc des militaires et des policiers, qui pourraient circuler dans les hot spots ou dans les lieux où la délinquance, notamment liée au trafic de drogue, est présente.
Combien de militaires participeront à l’opération ? Comment seront-ils formés ? Auront-ils le droit de procéder à des contrôles d’identité ? Quelles seront les règles d’engagement, autrement dit, dans quelles circonstances seront-ils autorisés à faire usage de leur arme à feu ? Pour l’instant, on n’a pas de réponse précise. Il faudra que le gouvernement fédéral clarifie ces points. Théo Francken a d’ailleurs annoncé qu’il déposerait bientôt un projet de loi.
L’idée d’avoir des militaires dans les rues n’est pas une première. En 2015, l’Opération Vigilant Guardian avait déjà permis leur déploiement. Ils intervenaient en appui de la police fédérale et assuraient la garde de sites sensibles comme les ambassades ou les lieux de culte. La grande différence entre Vigilant Guardian et l’opération envisagée aujourd’hui, c’est la nature de la menace : en 2015, il s’agissait de faire face aux attentats terroristes ; en 2025, il s’agit de lutter contre le trafic de drogue. Ce n’est pas tout à fait la même chose. À l’exception de Vigilant Guardian, les militaires n’avaient plus été déployés dans les rues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ce déploiement a clairement un caractère exceptionnel. Pour les uns, il apporte une réponse adéquate à un phénomène que la police n’est plus en mesure d’endiguer, face à des narcotrafiquants de plus en plus présents et de plus en plus violents. Pour les autres, c’est un aveu de faiblesse, une opération de communication avant tout, qui se révélera plutôt inefficace sur le terrain.
Quand on observe les réactions, on pourrait penser que les partisans de la mesure se situent à droite et les opposants à gauche. Ce n’est pas aussi simple. Par exemple, Frédéric De Gucht, à droite, estime que « pour assurer la sécurité intérieure, il faut une police et une justice efficaces, pas des militaires dans les rues ». Le bourgmestre de Verviers, Maxime Degey, membre du MR, donc également à droite, ne veut pas non plus de militaires dans les rues de sa ville.
À gauche, les premières réactions du PS ont été très négatives : Ridouane Chahid parle d’un constat d’échec, rejoint en cela par les bourgmestres d’Anderlecht et de Saint-Gilles, ou encore par le parti écologiste néerlandophone Groen. Tous demandent plutôt au fédéral d’assurer un meilleur financement de la police et de la justice. Mais certaines voix à gauche se montrent plus ouvertes. Le bourgmestre de Charleroi, Thomas Dermine (PS), n’est pas contre, à condition que la mesure soit temporaire. Le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close, se dit favorable à un déploiement de militaires pour des gardes statiques, devant les ambassades comme en 2015, ou autour de la prison de Haren par exemple. En revanche, il n’est pas partisan des patrouilles mixtes, où il ne voit pas la plus-value que les militaires pourraient apporter.
Le débat n’est donc pas si manichéen. Il va maintenant falloir entrer dans le détail pour savoir ce qu’on attend précisément des militaires, et surtout comment encadrer ce déploiement dans le temps, afin que le temporaire ne devienne pas définitif. Dans nos démocraties, le maintien de l’ordre et la lutte contre la délinquance restent de la compétence de la police. Et si, ponctuellement, il peut y avoir des exceptions, remplacer la police par l’armée ne peut pas devenir la règle.
Fabrice Grosfilley





