L’édito de Fabrice Grosfilley : le verrou néerlandophone
Nous sommes lundi, et nous repartons à zéro. Ce 16 juin, un an et 7 jours — 372 jours donc au total — se sont écoulés depuis les dernières élections. Et les deux initiatives qui étaient encore sur la table la semaine dernière se sont fracassées sur le mur de la réalité. Échec total pour la coalition de droite défendue par Georges-Louis Bouchez et David Leisterh, puisque ni DéFI ni Ecolo n’ont accepté d’en discuter. Échec aussi pour la coalition de gauche étudiée par Ahmed Laaouej, puisque Vooruit — le parti des socialistes néerlandophones d’Ans Persoons et Conner Rousseau — a décidé de s’en retirer vendredi soir. Aucune de ces deux pistes ne peut donc réunir de majorité.
Tout le week-end, les appels se sont multipliés pour que le MR et le PS acceptent de se reparler et de construire ensemble un projet de coalition qui tienne la route. Avec, en prime, un soupçon de dramaturgie, puisque l’agence Standard & Poor’s a bel et bien dégradé la note de la Région bruxelloise, en assortissant cette nouvelle note d’une perspective négative. Les experts de l’agence seront donc de retour en septembre : la sanction pourrait être encore plus dure si rien n’est entrepris d’ici là pour redresser les finances régionales.
MR et PS ensemble dans une majorité régionale : mathématiquement, tout le monde sait bien que c’est la meilleure solution. Encore faut-il que les deux partis arrivent à se parler et à construire un projet commun. Pour cela, il faut négocier. Ce n’est pas impossible, mais il y a quelques conditions à réunir. Pour le PS, cela veut dire accepter d’entrer dans une logique de compromis et participer à un gouvernement régional qui devra fatalement entretenir un minimum de rapport de collaboration avec la coalition Arizona au niveau fédéral. Il faudra que ces deux gouvernements se parlent et ne soient pas en confrontation l’un avec l’autre. Le PS devra aussi accepter une logique d’économies budgétaires.
Pour le MR, cela veut dire considérer le PS comme un partenaire qu’il faudra respecter. On l’a bien vu, y compris ce week-end lorsqu’il a fallu commenter le rapport de Standard & Poor’s : les leaders libéraux avaient bien du mal à se mettre en posture de négociation. Si l’on veut devenir ministre-président, on doit apprendre à se comporter et à communiquer au nom de tous les Bruxellois, et non pas seulement au nom de son parti. Après 372 jours, les postures de campagne électorale n’ont vraiment plus leur place.
Pour qu’une éventuelle négociation entre MR et PS puisse avoir des chances de réussir, il faudra donc trouver un accord sur le budget, le logement, la mobilité, les espaces verts, l’urbanisme, la propreté, etc. Ce ne sera pas une chose simple, mais c’est le principe d’une négociation. Il faudra aussi trancher la question de la majorité néerlandophone. Là, il faut que le MR passe de la parole aux actes, puisqu’il affirme ne pas être scotché à la N-VA. Ce n’est pas que le Parti socialiste qui refuse d’être en majorité avec la N-VA. Ecolo et DéFI martèlent exactement le même message. Il n’y aura pas de majorité bruxelloise tant qu’on tentera d’imposer le parti de Bart De Wever dans l’équation. C’est une exclusive, certes. On peut en penser ce qu’on veut. Mais cette exclusive-là n’est pas fondamentalement différente de celles qui veulent exclure le PTB ou la Team Fouad Ahidar. L’exclusive des uns n’a pas à être minimisée au profit de l’exclusive des autres.
Sur ce problème N-VA, il y a désormais l’obligation de trancher. Et de bien mesurer à quel point la protection dont bénéficie la minorité néerlandophone est devenue un handicap majeur dans la formation du gouvernement régional. Pendant des mois, le CD&V n’a pas voulu négocier. Puis, il y a eu cet accord entre quatre partis néerlandophones qui imposait la N-VA à bord. Ensuite, l’Open VLD a saboté la mission d’information menée par Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer. Et maintenant, Vooruit torpille une piste progressiste qui avait le mérite d’être arithmétiquement majoritaire. À chaque fois, ce sont donc des partis néerlandophones qui usent et abusent du pouvoir de blocage que leur confère l’obligation d’une double majorité — avec, il faut le dire, des partis francophones qui sont les victimes consentantes de ces blocages.
On entend souvent dire que chaque groupe linguistique devrait accepter la majorité qui lui est proposée par le groupe d’en face. C’est archi faux. Un gouvernement, cela fonctionne au consensus. Il faut donc bien que tout le monde se mette d’accord sur un accord de gouvernement. On n’ajoute pas une majorité néerlandophone à une majorité francophone pour gouverner Bruxelles. On essaie de marier les deux. Et pour cela, il faut se mettre d’accord, pas vouloir passer en force.
Deuxième argument : dans la proposition incluant la N-VA, les partis néerlandophones opèrent par un coup de force, en imposant un poste de super-commissaire de gouvernement en charge du budget. Dans d’autres formules, c’est un poste de secrétaire d’État qu’on créerait. Si on veut être dans une logique du “chacun propose sa majorité”, les néerlandophones doivent faire avec les règles qui existent. Ils sont quatre pour trois postes ? Ils n’ont qu’à se partager les mandats : deux années pour l’un, deux années pour l’autre.
On a besoin que la Région bruxelloise soit gouvernée. Il est évident que ceux qui la bloquent aujourd’hui sont aussi ceux qui rêvent de la mettre sous tutelle. Pour la population bruxelloise, c’est un cauchemar. Pour certains états-majors de partis politiques, c’est un rêve éveillé, qu’ils n’ont même plus honte de prononcer à haute voix.





