L’édito de Fabrice Grosfilley : champions de la procrastination
À Bruxelles, nous avons les champions… et les autres. Champions donc, l’Union Saint-Gilloise, qui décroche un titre historique. Après une traversée du désert qui aura duré nonante ans, et qui est passée par les divisions inférieures, l’Union est de retour. Cela fait même cinq ans que l’Union évolue au plus haut niveau. Deux fois vice-championne, une fois vainqueur de la Coupe, il ne manquait qu’une victoire en championnat pour parachever cette résurrection. C’est donc chose faite.
Champions également : Patrick Nimubona et Lin Ndayifukamiye. Ces deux Burundais, dossards 99 et 98, se classent premier et troisième des 20 km de Bruxelles. Vingt kilomètres bouclés en 59 minutes et 26 secondes pour Patrick, 1 heure et 20 secondes pour Lin. Entre les deux, c’est Amaury Paquet, de l’équipe Decathlon, qui prend la deuxième place. Patrick Nimubona et Lin Ndayifukamiye ont la particularité d’avoir couru sous les couleurs du Samu Social. Tous deux sont demandeurs d’asile, en attente de statut, hébergés par le Samu Social à Laeken.
En foot, en course à pied, en hockey, en basket, en futsal, en boxe, en arts martiaux… Bruxelles regorge de champions et de championnes. Bravo à eux, bravo à elles.
Il y a en revanche une catégorie où Bruxelles ne brille pas : la politique. Plus précisément, la formation du gouvernement régional. Parce que là, on est bon dernier. Et on n’est même pas sûrs de franchir un jour la ligne d’arrivée. Dernier épisode en date : une interview de David Leisterh sur la chaîne Canal Z. Il y dit toujours travailler à un projet de déclaration de politique générale, qu’il proposera bientôt à d’éventuels partenaires.
Cette déclaration de politique régionale (ou générale), on nous l’annonce depuis le 1er mai. On ne l’a donc toujours pas ce matin. Il y a un peu plus d’une semaine, Yvan Verougstraete, le président des Engagés, s’était même agacé dans La Libre Belgique. Il disait qu’il donnait une semaine au Mouvement Réformateur pour faire parvenir un document. La semaine est passée. On est même ce matin dix jours après cet ultimatum. La déclaration de politique générale n’est toujours pas déposée. Pire : il ne semble même pas y avoir eu de réunion préparatoire. À ce stade, c’est donc le Mouvement Réformateur, tout seul, qui prépare son document. Un document dont on nous dit qu’il fera une centaine de pages, et s’articulera autour de trois priorités : assainir les finances bruxelloises, rétablir la sécurité, et stimuler l’économie.
Ce document, pour l’instant, n’est donc toujours pas communiqué. Enfin… soyons justes : les alliés privilégiés du Mouvement Réformateur semblent en avoir reçu une copie. Du côté des partenaires potentiels — ceux qu’il faudra convaincre pour former une majorité — en revanche, pas trace du moindre texte. DéFI, Ecolo, le Parti socialiste, les néerlandophones de Vooruit n’ont toujours pas été ni concertés ni informés. Le problème, c’est que sans le soutien de ces partis, la déclaration Leisterh-Bouchez n’a aucune chance de passer.
« Tout qui se veut constructif pourra lire ce texte, proposer des modifications et envisager que cela puisse servir de base à un compromis », expliquait hier David Leisterh dans son entretien à Canal Z. Avant de préciser que la base du document serait fort proche du programme des libéraux. « Nous avons gagné les élections, et l’on ne peut ignorer le signal de l’électeur. » On pourra rétorquer à David Leisterh que même si le MR a remporté les élections, le cœur du Parlement bruxellois penche à gauche. Et que pour faire une majorité, il devra se mettre en position de faire des compromis. Vouloir déposer une note qui n’est négociée avec personne — ou presque — pour imposer le programme des seuls réformateurs, c’est aller dans le mur, une fois de plus. Et quand Georges-Louis Bouchez sort l’artillerie lourde au même moment pour tenter d’associer Ecolo à l’entrisme des Frères musulmans, on comprend bien que le MR n’est toujours pas passé en mode négociation.
Alors, qu’adviendra-t-il de ce document ? Dans les jours, ou peut-être dans les heures qui viennent, il sera probablement déposé quelque part. Le MR réformateur prendra l’opinion publique à témoin en disant : regardez qui sont les gentils, qui acceptent de discuter avec nous, et les méchants, qui refusent de le faire. Et ce sera retour à la case départ. À gauche, on n’est pas beaucoup plus loin. Ahmed Laaouej tente de convaincre le PTB et Ecolo d’entrer en négociation. Mais là non plus, les discussions n’ont pas réellement commencé. Bref, on tourne en rond. Les citoyens, les associations, les milieux économiques, le procureur du Roi — sur notre antenne vendredi encore — tout le monde s’en émeut.
Nous sommes le 26 mai. Le 9 juin, dans deux semaines, cela fera un an que nous avons voté. Les politiques bruxellois sont des champions. Des champions de la procrastination.
Fabrice Grosfilley





