L’édito de Fabrice Grosfilley : derrière l’offensive

Prendre le contrôle de la bande de Gaza. Cette fois-ci, le but est clair, parfaitement revendiqué. Il ne s’agit plus de frapper le Hamas ou de libérer des otages. Il s’agit bien de conquérir un territoire. De mettre la main sur la bande de Gaza et de s’y installer de manière plus ou moins durable.  Pour arriver à prendre le contrôle total de la bande de Gaza, l’armée israélienne a donc lancé une nouvelle vague de bombardements intensifs, prélude à une offensive terrestre de grande envergure. Ce matin, la défense civile palestinienne a décompté 44 victimes. Hier soir, les bombardements avaient déjà fait 91 victimes. Des chiffres considérés comme crédibles par les Nations unies : 90 morts hier, 50 morts avant-hier, 33 pour la journée de samedi… On peut continuer le décompte macabre.

L’objectif de ce chaos venu du ciel est-il de forcer les populations civiles à se déplacer ? Fuir, avec femmes, enfants. Aller d’un camp de réfugiés à un autre, en traversant des villes en ruine. Le gouvernement israélien et son Premier ministre Benyamin Netanyahou semblent complètement indifférents aux protestations internationales. Hier encore, la France, le Canada et le Royaume-Uni ont condamné l’offensive israélienne, parlant d’actions « scandaleuses » et annonçant qu’ils ne resteraient pas les bras croisés.  « Nous nous opposons fermement à l’extension des opérations militaires israéliennes », écrivaient donc Emmanuel Macron, Keir Starmer et Mark Carney dans une déclaration conjointe.  « Ils offrent une immense récompense au Hamas », a répondu Benyamin Netanyahou dans un communiqué.

Il faut ajouter à cette offensive militaire un blocus généralisé de l’aide humanitaire. Plus rien ne rentre. La nourriture se fait rare, les stocks de médicaments sont vides. Hier, l’armée israélienne a laissé passer neuf camions transportant de la nourriture pour bébés. Une goutte d’eau dans l’océan, selon les Nations unies. Ces dernières demandent à Israël d’ouvrir « au moins deux points de passage vers Gaza », de « simplifier et accélérer les procédures », de lever tout quota, et de permettre de répondre à tous les besoins en « nourriture, eau, hygiène, abris, santé, carburant ».

Les supplications de l’ONU ont peu de chances d’être entendues. Hier, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a été très clair sur les raisons qui l’avaient poussé à laisser passer quelques camions :  « nous ne devons pas laisser la population sombrer dans la famine, ni pour des raisons pratiques, ni pour des raisons diplomatiques », a-t-il expliqué dans une vidéo publiée sur son compte Telegram, précisant que des « amis » d’Israël lui avaient dit qu’ils ne pourraient plus soutenir la poursuite de la guerre si des « images de famine de masse » dans le territoire palestinien étaient diffusées.  Ce n’est donc pas par altruisme ou par humanité que ces camions ont pu entrer à Gaza. C’est juste pour éviter que la pression diplomatique ne devienne trop forte. Il ne s’agit pas de sauver des vies, y compris celles des enfants palestiniens. Il s’agit juste de pouvoir continuer à faire la guerre. Le cynisme est parfaitement assumé.

Pour bien comprendre ce qui est en train de se passer à Gaza, il ne faut pas remonter très loin. Il faut s’arrêter au début de ce mois. Le 5 mai, lorsque le cabinet de sécurité israélien a adopté un plan d’occupation. Il s’agit donc bien cette fois de prendre le contrôle de tout le territoire gazaoui. De l’occuper. De l’administrer militairement. Et de faire en sorte que la population gazaouie choisisse de faire ses valises.  Ce plan d’occupation sur le long terme, Benyamin Netanyahou l’avait déjà envisagé publiquement en septembre 2024. Son chef d’état-major de l’époque, Herzi Halevi, s’y était opposé. Herzi Halevi a démissionné au mois de janvier. Juste avant que le cabinet de sécurité israélien n’adopte ce plan d’occupation de Gaza. Le 4 mai, il y avait eu une déclaration de Donald Trump, qui annonçait vouloir faire de Gaza — je cite — une « zone de liberté ». Il avait alors envisagé de déplacer les Palestiniens de Gaza vers l’Égypte et la Jordanie, pour faire de l’enclave palestinienne la « Riviera du Moyen-Orient ». Ces propos avaient suscité un tollé. On mesure à quel point aujourd’hui ils étaient annonciateurs de ce qui est en train de se produire.

Oui, Israël est en train de conquérir Gaza.
Oui, Israël a rendu la bande de Gaza inhabitable.
Oui, Israël fait tout pour vider Gaza de ses deux millions et demi d’habitants.

Il y a, dans cette guerre de Gaza, une dimension coloniale, qui consiste à prendre le territoire d’un peuple et à se l’approprier pour son profit propre. Il y a, dans cette guerre de Gaza, une dimension ethnique, qui consiste à expulser un peuple, à le forcer au départ, à le déporter au besoin. C’est bien cela, la politique du gouvernement de Benyamin Netanyahou aujourd’hui.

Et nous, Européens, nous regardons cela sans réagir — ou presque. Comme si nous n’avions rien appris des horreurs de l’Histoire. Comme si les grands engagements issus de la fin de la Seconde Guerre mondiale — avec la Charte des Nations unies, l’essor du droit international, la conceptualisation de ce qu’est un crime contre l’humanité, un génocide, ou la dénonciation du colonialisme — appartenaient aujourd’hui au passé.  Comme si la loi du plus fort était à nouveau devenue la règle et qu’on était incapables de s’en émouvoir.

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