L’édito de Fabrice Grosfilley : se mobiliser pour l’après-Audi

Dans son édito de ce jeudi 14 novembre, Fabrice Grosfilley revient sur l’avenir du site Audi.

Comment sauver ce qui peut encore l’être à Audi Forest ? C’est l’urgence du moment. Pourtant, on est à nouveau surpris de voir que ce dossier n’est pas davantage pris à bras-le-corps par le monde politique. Hier, la journée a donc été marquée par des incidents entre le personnel et la direction. La presse évoquait en milieu d’après-midi une séquestration de la direction. “Faux”, ont rapidement réagi les syndicats, affirmant que l’occupation du site était pacifique et que les violences étaient dues à l’intervention de la police, appelée en renfort. Celle-ci est intervenue dans la salle de réunion sans ménagement, blessant même un représentant du personnel. Cet épisode est révélateur de la très grande tension qui règne dans ces discussions sociales.

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On peut comprendre que la direction ne se sente pas à l’aise lorsqu’elle doit négocier avec plusieurs centaines de salariés en colère de l’autre côté de la porte. On comprend aussi l’énervement, voire la rage de ces salariés, qui viennent d’apprendre qu’il n’y a pas de repreneur, contrairement à ce qu’on leur avait fait miroiter. Ils ont le sentiment qu’on ne leur accorde ni respect ni empathie pour ce qu’ils vont devenir une fois le site fermé. Hier, la discussion portait notamment sur un alignement des indemnités entre ouvriers et employés pour que tous les travailleurs soient logés à la même enseigne. Multipliez cette question par 3 000 travailleurs, et cela commence à chiffrer. Il ne faut pas non plus oublier le millier de sous-traitants qui se retrouveront également sur le carreau.

Ce plan social est évidemment capital. Il conditionne l’avenir de milliers de travailleurs et de leurs familles. Dans notre pays, où la concertation sociale est un principe majeur, c’est théoriquement l’affaire des syndicats et de la direction. Le politique ne devrait s’en mêler que si les choses dégénèrent et qu’un accord est impossible. Mais il y a un deuxième enjeu, qui n’est peut-être pas aussi immédiat, mais qui est tout aussi crucial : l’avenir du site. Que va-t-on faire de cette usine ? Des ateliers, des entrepôts, de ces grands hangars et de cet immense terrain de 50 hectares. On sait désormais qu’il n’y aura pas de repreneur pour l’ensemble du site, mais il faut malgré tout commencer à penser à la suite. Audi est le propriétaire de ces terrains, il a donc la liberté de les vendre à qui il souhaite, à condition toutefois de procéder à leur dépollution (c’est une obligation légale) et de respecter les différentes obligations en matière d’urbanisme. C’est par ces obligations que la Région bruxelloise pourrait donc avoir un levier pour intervenir auprès d’Audi. Même chose pour l’État fédéral, qui a accordé des facilités et des subsides et qui pourrait demander des comptes. En clair, les pouvoirs publics n’ont pas la main, mais ils ne sont pas complètement démunis non plus.

L’avenir du site ne passera donc pas par un repreneur unique. Il faut maintenant envisager une division de ce site en plusieurs lots. Et, lot par lot, chercher des investisseurs qui pourraient être intéressés. Il faut aussi essayer de définir un projet. Tout le monde est d’accord pour que le site conserve son caractère industriel. Mais de quelles industries parle-t-on ? Est-ce qu’on reste dans le domaine de l’automobile ou de la mobilité en général, en raison du savoir-faire des ouvriers ? Élargit-on à la construction d’autres biens, qui pourraient aller de la machine à café au smartphone, en passant par l’aéronautique ? S’oriente-t-on vers le secteur de la logistique, avec des géants comme Amazon ou d’autres, au risque de concurrencer des firmes installées à l’aéroport de Bruxelles ? Et dans toute cette palette de choix, qu’est-ce qui est créateur d’emplois ? Quels sont les emplois de qualité que nous préférons favoriser et quelles seront les qualifications que les travailleurs devront acquérir ?

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Il est essentiel de se poser toutes ces questions dès maintenant. Et comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises depuis le début de cette crise, nous sommes plutôt désagréablement surpris du désintérêt apparent du monde politique, en particulier au niveau fédéral. Une vague task force, qui s’est très peu réunie et n’a débouché sur rien de concret. La période politique que nous traversons n’incite pas à l’optimisme, avec un gouvernement fédéral qui n’est toujours pas constitué et des négociations bruxelloises qui tournent en rond. Nous avons besoin, les ouvriers d’Audi ont besoin, les habitants de Forest ont besoin, les travailleurs de demain ont besoin que l’on s’intéresse à l’avenir du site d’Audi Forest. Ce dossier exige que le fédéral et la Région travaillent de concert, sans oublier la commune. Il mérite aussi que l’on transcende les querelles partisanes et que l’on prenne le dossier à bras-le-corps. Ne rien faire, ne rien oser, procrastiner : ce n’est pas ce que nous attendons de nos décideurs. Il faut désormais une mobilisation politique et économique autour d’Audi pour aider les travailleurs qui devront partir et aussi pour préparer dès maintenant un projet pour la suite.

Fabrice Grosfilley