L’édito de Fabrice Grosfilley : normaliser le PTB ?

Le PTB est-il un parti de gouvernement ? Peut-on considérer que ses élus sont fréquentables et compatibles avec un exercice serein de la démocratie ? La question est désormais officiellement posée. Hier soir, à Mons, dans la province du Hainaut, les instances locales du PS et d’Ecolo ont validé une alliance à trois. PS, PTB, et Ecolo géreront donc ensemble cette commune de 96 000 habitants, troisième ville de Wallonie derrière Liège et Charleroi. Si l’information mérite qu’on s’y arrête, c’est parce que c’est la première fois que le PTB sera associé à l’exercice du pouvoir dans la partie francophone du pays. Jusqu’à présent, la seule participation du PTB à une majorité concernait la commune de Zelzate, en Flandre orientale, pendant la mandature passée, et cette alliance n’a pas été reconduite.

Si la question fait débat, c’est parce que le PTB n’est pas un parti tout à fait comme les autres. Fondé en 1979, le Parti du Travail de Belgique se veut un parti marxiste et anticapitaliste. À l’origine d’inspiration maoïste, il se présente aujourd’hui comme communiste. Très implanté dans les milieux universitaires et dans quelques bastions ouvriers, le PTB a toujours considéré que son action ne pouvait pas se limiter au terrain électoral. La formation politique est aussi très présente dans les entreprises, où ses membres occupent souvent des fonctions syndicales en parallèle à leur engagement partisan. Le PTB a également investi le secteur de la santé à travers l’organisation Médecine pour le Peuple, une extension du parti.

La doctrine historique du PTB, rappelons-le, était d’œuvrer pour la révolution, au sens marxiste du terme, avec la dictature du prolétariat en ligne de mire. Même si, depuis 2008, le parti (dont le fonctionnement de type “clanique” est parfois dénoncé), a adouci son discours lors d’un congrès où il a révisé son programme. Un changement de cap symbolisé par l’apparition de personnalités comme Raoul Hedebouw, avec une ligne de conduite que l’on pourrait qualifier de radicale et populaire : radicale sur le plan des idées, populaire dans la forme, où l’on cultive la proximité avec la classe ouvrière ou les organisations de jeunesse avec le risque que le populaire devienne du populisme. Une ligne qui a permis au PTB d’engranger de véritables succès électoraux. Le PTB compte aujourd’hui 15 sièges au parlement fédéral, 15 sièges également au parlement bruxellois ; il est, par ordre d’importance, la troisième formation en région bruxelloise, à un siège du Parti Socialiste.

Jusqu’à présent, les partis francophones ne s’associaient pas au PTB dans l’exercice du pouvoir. C’est une question de principe clairement affirmée par le MR et par Les Engagés. Pour les autres formations politiques, cela relevait plutôt d’une question de stratégie ou d’opportunité. En réalité, la question ne s’était jamais réellement posée jusqu’à maintenant. Du côté du PS comme du côté d’Ecolo, on n’a d’ailleurs pas réellement pris position sur la question. Les états-majors des deux partis n’ont pas donné de consigne. Pas de veto, mais pas d’encouragement non plus ; on laisse les instances locales décider.

Il est intéressant de noter qu’à Mons, Nicolas Martin, le bourgmestre socialiste, a d’ailleurs pris soin de prendre deux partenaires. Il s’associe au PTB et à Ecolo, alors qu’un seul des deux aurait pu suffire. C’est une manière de ne pas dépendre uniquement du PTB pour avoir une majorité, signe qu’on se méfie encore un peu des communistes et qu’on préfère que la majorité ne dépende pas de leur bon vouloir. Si ses partenaires s’en méfient, c’est parce qu’ils se demandent si les élus du PTB sont capables de participer à un exécutif, de voter un budget qui ne raserait pas gratis, d’endosser des compromis, de ne pas recourir à la « participopposition », cette pratique qui consiste à avoir un pied dans la majorité tout en continuant de la critiquer de l’extérieur.

On rappellera qu’une commune est un niveau de pouvoir qui n’est pas anodin en Belgique. La mobilité, la sécurité, l’aide sociale, certains éléments de fiscalité en dépendent. Nos communes ne sont pas des îles ; elles gèrent dans un cadre défini par un ensemble de règles mises en place par les régions ou l’État fédéral. Parmi ces règles, par exemple, l’obligation de présenter un budget à l’équilibre. On ne peut pas dépenser l’argent que l’on n’a pas dans une commune. Se confronter à la réalité et à la rigueur du pouvoir pour le PTB, c’est donc accepter de rentrer dans le cadre et de ne plus promettre des solutions qui n’en sont pas en invoquant des leviers qui, en réalité, ne dépendent pas de vous.

Si le PS et Ecolo font ce « switch » aujourd’hui, c’est aussi parce que les relations avec le Mouvement Réformateur sont actuellement particulièrement tendues. Et l’on entend de plus en plus de militants et d’élus de la gauche classique dire qu’avec le PTB, c’est difficile, mais qu’avec le Mouvement Réformateur, notamment quand les déclarations outrancières se multiplient, c’est tout aussi difficile. Et que finalement un populisme vaut bien l’autre et que la loyauté des partis démocratiques entre eux est devenue très relative. Mettre le PTB à l’épreuve du pouvoir, c’est donc voir si le parti est capable d’endosser ses responsabilités et de sortir de son idéal révolutionnaire. Si cela ne concerne qu’une seule commune, celle de Mons, cela aurait valeur de test, d’expérience. Si on devait y ajouter une, deux, trois communes en région bruxelloise, on passerait peut-être dans une autre dimension. Une dimension où le PTB passerait du rôle d’épouvantail à celui de partenaire potentiel. Cela changerait complètement la donne. Dans les communes d’abord, mais aussi, à terme, peut-être à la région.

Fabrice Grosfilley