Harcèlement moral, violences sexuelles : une étude révèle l’ampleur du phénomène dans l’enseignement supérieur

Une étude commanditée par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a été présentée aujourd’hui. Son objectif : dresser un état des lieux des situations de harcèlement et de violences dans l’enseignement supérieur et tenter de trouver des pistes d’amélioration.

Le harcèlement touche toutes les tranches d’âge, et prend diverses formes : moral, sexuel, cyber… Or, si des données sur le harcèlement en milieu scolaire ou sur le lieu de travail existent, celles sur l’enseignement supérieur n’ont jamais été réellement mises à jour. Pour pallier cela, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a commandité en 2022 une étude visant à  dresser un état des lieux des situations de harcèlement et de violences dans ce milieu. Cette étude, nommée BEHAVES (pour Bien-Être, Harcèlement et Violences dans l’Enseignement Supérieur) et réalisée de décembre 2022 à novembre 2023, a aussi pour objectif de pointer les dispositifs internes existants au sein des établissements et en évaluer leur efficacité.

Une équipe de recherche de l’Université de Liège a été désignée dans le cadre d’un marché public. Celle-ci a mis au point une étude comprenant des entretiens avec différents acteurs de terrain ainsi qu’une enquête en ligne. Qu’en ressort-il ?

Premiers constats en amont

Pour mener à bien cette recherche, tous les établissements concernés ont été contactés en amont pour connaître leurs difficultés. Un premier constat : s’ils accueillent favorablement la circulaire diffusée en 2021 par la ministre de l’Enseignement relative à la prévention et la lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles au sein des établissements d’enseignement supérieur, ils se déclarent en même temps démunis, s’estimant sans ressource ni compétence pour développer de façon efficace des dispositifs adéquats et contextualisés.

Les missions des “référents harcèlement” dans les établissements imposés par cette circulaire ne sont pas clairement définies : certains ont été désignés par défaut et ne se sentent pas suffisamment armés. Souvent, ces personnes occupent aussi d’autres fonctions et disposent de peu de temps, alors qu’elles ont besoin de formation en la matière.

L’enquête en ligne

Tous les établissements de l’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont été conviés à participer à l’étude, soit six universités, 19 hautes écoles, et 16 écoles supérieures des arts. Un e-mail de lancement de l’enquête et de sollicitation à participer a été envoyé aux directions qui devaient le relayer au sein de leur communauté. Au total, près de 13.000 personnes – étudiants, doctorants, membres du personnel – réparties dans les 41 établissements d’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles y ont participé.

Le harcèlement moral et le harcèlement sexiste sont les comportements les plus rapportés par les répondants étudiants, doctorants et membres du personnel des trois types d’établissement d’enseignement supérieur.

Au total, plus d’une personne sur deux (56,1%) disent avoir été victimes de harcèlement moral. Parmi les comportements dénoncés figurent notamment l’exclusion des personnes, le dénigrement de leur travail, des remarques insultantes et offensantes ainsi que des ragots et rumeurs sur les victimes.

L’enquête se penche également sur les violences sexistes et/ou sexuelles. Ainsi, plus d’un répondant sur quatre (29%) rapporte avoir été victime de tels faits commis par un affilié de leur établissement.
Là, les comportements décriés concernent le harcèlement sexiste (insultes et commentaires sexistes, menaces et intimidation visant à humilier la victime), les “comportements sexuels non voulus” (sollicitations sexuelles, agressions et menaces visant à obtenir un échange sexuel) et les “coercitions sexuelles” (chantage sexuel contre des avancées professionnelles ou académiques).

et 29,7% ont rapporté avoir été victimes d’au moins un de ces trois comportements : harcèlement sexiste (27%), comportement sexuel non voulu (14,9%) et coercition sexuelle (1,8%).

Les femmes davantage victimes

Les femmes, quel que soit leur statut, et dans les trois types d’EES, sont davantage victimes que les hommes de toutes les formes de harcèlement et de violences au sein des EES, particulièrement aux violences sexistes et sexuelles.

Les personnes s’identifiant comme non binaires constituent un groupe moins important en termes de nombre mais ressortent néanmoins comme particulièrement vulnérables par rapport à toutes les formes de victimisation. Ces personnes présentent des prévalences et scores de victimisation plus élevés pour toutes formes de violences.

Les hommes sont moins victimes que les femmes et les personnes non binaires. À noter tout de même que près d’un homme sur deux rapporte avoir subi du harcèlement moral depuis son entrée dans l’établissement. Ils présentent néanmoins des taux de victimisation plus faibles pour les violences physiques et cyber violences, et plus encore pour les violences sexistes et sexuelles.

Les espaces de travail sont les zones les plus à risques

Alors que la prévention a surtout été centrée sur des espaces à risque tels que les contextes festifs et espaces publics, les données de la recherche montrent que les faits se produisent le plus souvent dans les espaces de travail et d’enseignement, tant pour les étudiants que pour les membres du personnel.

Pour les membres du personnel, ce sont majoritairement dans les tâches liées au travail et pour les étudiants des activités liées à l’enseignement. En ce qui concerne les faits de violences sexistes et sexuelles, les contextes les plus fréquents restent les activités d’enseignement et tâches liées au travail (sauf pour les comportements sexuels non voulus, plus fréquemment rapportés en contexte festif).

Les étudiants situent la commission des faits dans le cadre d’enseignement (cours, travail d’équipe, stage, mémoire, thèse, etc.) pour 74,3% des victimes de harcèlement moral, 47,6% des victimes de violence/cyberviolence, 45,8 % des victimes des harcèlement sexiste, 32,6% des victimes de coercitions sexuelles et 28,5% des victimes de comportements sexuels non voulus (pour ces derniers les contextes festifs sont les plus rapportés).

Il est à relever que 30,7% des étudiants victimes de harcèlement sexiste et 13,2% des étudiants victimes de comportements sexuels non voulus ont subi ces agissements sur le chemin vers le campus. Par ailleurs, les faits sont également exercés en ligne (via les réseaux sociaux et technologies de communication, plus rarement via les plateformes collaboratives).

Les demandes du terrain

Après les différents constats, il a été demandé aux acteurs de terrain et aux principaux concernés quelles solutions pourraient être mises en place. Des groupes de travail ont ainsi été formés pour souligner les points d’attention importants.

Les pistes de solution

L’équipe de recherche termine son étude en évoquant des pistes d’amélioration à mettre en place.

Cela passe d’abord par un renforcement des dispositifs d’accueil. Selon l’étude, la plupart des victimes déclarent ne pas se manifester auprès de l’établissement : entre 11 % à 1,6% des victimes, selon la nature des faits, font appel à des référents ou personnes de confiance. “Les dispositifs devraient assurer un accueil et une écoute de qualité : l’accessibilité, la proximité, la précocité des aides mises à disposition sont les premières qualités à assurer“, écrivent les auteurs. “Une cellule interne, indépendante des autorités mais institutionnalisée et connue de tous, peut jouer ce rôle de porte d’entrée et d’orientation si nécessaire vers des services spécialisés internes ou externes. Les personnes qui assurent ce rôle en interne doivent être formées spécifiquement aux questions de harcèlement, violences et discriminations, à leur écoute et tenues par le secret professionnel.”

Un second volet concerne la prévention qui, selon les auteurs, doit être davantage systémique. “Tous les types de harcèlement et de violences sont significativement corrélés entre eux“, pointent-ils. “Une des premières recommandations impose de prendre dès lors en compte, en matière de prévention et de suivi, aussi les violences plus ordinaires, plus fréquentes et de plus faible intensité qui forment le terreau de violences plus sévères. Le climat de justice au sein d’un établissement est un facteur de protection pour tous les types de harcèlement et de violences.” Il s’agit d’opérer un changement de ‘culture d’établissement’ : la prévention ne se limite pas à la sensibilisation individuelle, mais nécessite également des efforts pour adapter les processus organisationnels, le management et la conception du travail lui-même. Cela passe également par des ressources permanentes sur le sujet à disposition des étudiants.

V.d.T. – Photo : Belga